Harpy Hare (( Désirée ))

Le téléphone retentit et pulvérise le sommeil. Quelques heures à peine. Peut-être deux à pioncer. Fin de soirée tardive et réveil inattendu. Tu te souviens pas d'avoir prévu quelque chose ce matin. Avant de voir le motif de la notification s'afficher à l'écran. Sandy. Surnom donné à l'un des illustres rois de la cour sucrée. Car tu aimes bien personnaliser les titres de chacun. C'est donc pour lui que tu abandonnes ton lit et enfiles une tenue sommaire mais élégante. Parce qu'en présence d'un saint patron de la pègre, faut avoir un minimum d'allure.
Mine endormie, robe froissée et frange éparpillée, ton allure est définitivement à la hauteur de la sienne. "Valou !" Autre surnom, encore plus affectif, témoignant de la sincérité de votre relation.
Tu t'installes en face de lui sans avoir aucune idée de l'importance de ton retard qu'il pardonnera d'un sourire ou te reprochera au moment du digestif. En attendant, ton estomac gargouille et ton audace réclame de le satisfaire. "Je vais prendre un jus d'orange pressé avec de l'ananas et de la fraise, des pancakes bacon cornichons fromage sirop d'érable et un peu de tabasco." Tu n'as pas faim. Tu crèves la dalle. Alors tu t'fais pas prier pour dévaliser le café. "Ah et en dessert de la glace à la vanille avec des noisettes". Même pas besoin de regarder la carte, tu connais les plats par coeur.
Le sud en repère ultime. Le sud et toutes ses infrastructures. Nouvelles, anciennes, difficile de tenir une boutique prospère par ici. Le sud, au-delà de la cité de Nueva Luisiana, ton royaume.
Sac abandonné sur la banquette usée, le buste s'avance vers la table et les mains finissent par se poser dessus. "Alors raconte..." Pas de transition inutile entre vous. Vous avez passé le cap des formalités depuis longtemps maintenant même si Sandy continue de te traiter comme une véritable princesse. Parce qu'il t'aime bien. Comment ne pas t'aimer ? Tu traduis pour lui les comportements bizarres/crises existentiels/caprices douteux de sa fille, l'aidant ainsi à naviguer au sein des eaux troubles de la parentalité.
En réalité, Valery s'en sortirait sans toi car ce n'est pas un père nul. Au contraire. Mais c'est un bien père meilleur avec tes conseils avisés. Parole d'experte. 

Coudes posés sur la table, poings refermés sous le menton, iris qui pépitent à l'idée d'explorer davantage les tréfonds de sa vie trépignante. Tu l'imagines ainsi, sa vie. C'est un roi de la cour sucrée après tout. Et tu aimes te sentir aussi impliquée, proche des souverrains. Ayant alors l'impression de détenir une place importante à leurs yeux en dépit d'un siège à leur table. Bientôt. Peut-être. Est-ce que tu veux véritablement suivre le chemin de ton père ? Le destituer de son illustre trône ? Ou veux-tu façonner le tien au gré de tes macabres exploits ? Te forger une réputation à la hauteur de ta prédation ?
Intégrer les Sinisters Five peut être ton opportunité. Groupe très médiatisé. Connu de l'Amérique entière. Tu crois. Les super vilains sont après tout aussi indispensables que les super héros. Sans eux, le monde serait indubitablement fade. Même s'ils ne rivalisent pas avec les énigmatiques et sensationnels paladins.
Rien que de penser à Miseria, t'as le coeur qui palpite au fond de la poitrine. Ah son aura prédatrice, sa démarche fauve. Sa façon de subir son existence tout en mettant fin à celle des autres. Un vrai régal. "Les relations amoureuses ?" Tu fais un effort pour ne pas rire. Les lèvres s'étirent, dévoilent les crocs. La langue passe sur la surface de la bouche. Heureusement ton jus d'orange maison arrive. Tu te jettes dessus, mordillant la paille avant d'aspirer la boisson colorée.
La moue innocente précède la réponse faussement désintéressée. "Je n'allais pas demander." Tu allais évidemment demander. Opportunité unique de farfouiller. Apprendre des trucs utiles. Pouvoir lui filer des conseils en plus. Sur sa vie sentimentale ? Toi ? La collectionneuse ? Véritable mante religieuse. Ou presque.
Tu ne dévores pas tes conquêtes. Juste tu t'attaches vite et te lasses vite. L'âge. L'ivresse. L'envie d'expérimenter. Exacerbée depuis ta maladie. Comme quoi, la mort permet de remettre les choses en perspective. Un mal pour un bien car le mal fait toujours beaucoup de bien. Nouvelle gorgée de ton cocktail et tu rebondis sur son problème. Pourquoi aurait-elle besoin d'être rassurée ?" Certainement car il la considère un peu trop fragile. Vision déformée du père préoccupé. Maladroit dans sa façon d'aborder la situation.
Voilà le moment où tu interviens.
"Zoe est une grande fille" qui ne veut sans aucun doute pas d'un chaperon l'empêchant de partir à la découverte de son corps et de sa sexualité. Oula tu vas peut-être garder cette pensée pour toi. Trop peur de voir le père Covington s'évanouir devant tes yeux. "Laisse la s'amuser et n'interfère pas... sauf si tu sens qu'elle court un véritable danger." Les fréquentations du sud sont loin d'être les plus saines et tranquilles. Ce qui les rend indubitablement géniales.
"Et prends exemple sur elle, un peu, c'est super triste de t'imaginer célibataire endurci." Ça casse vraiment l'image que les gens se font de lui, que tu te fais de lui. Et tu sais, combien la confiance dans ce milieu reste une denrée rare mais tu ne lui parles pas de s'enchaîner à quelqu'un. Seulement travailler son endurance.