Don't wanna fall in love | ft Iris

Réveiller. Laver. Abreuver. Médiquer. Dévorer. Patrouiller. Somnoler. S’ennuyer. S’occuper. S’ennuyer encore. Dévorer toujours. Repousser. Isoler. Médiquer encore. Diversion. Somnoler.
Recommencer.

Routine maîtrisée, finement dessinée. Rien ne change vraiment, pourtant, tu te sens bien, n’est-ce pas ? Est-ce qu’il vient de toi, ce sourire, devant le miroir ? Tu tires sur tes lèvres avec tes ongles, dents blanches plus mémorables que ton existence. On dit souvent que ce qu’on retiendra de toi, c’est ton éternel sourire, plus encore que tes blagues douteuses. Ah… J’aimerais bien sourire, moi aussi, Iris. Heureusement que tu le fais pour nous deux.

Continues de cacher nos plaies, d’embraser nos cicatrices et de cautériser notre peine. Il n’y a bien que ça qui nous permettra d’évoluer. Je vois bien ce qu’il y a derrière tes dents. Gorge sèche, entrailles ravagées par une médication agressive qui sera probablement le chemin vers notre chute. T’as pas de raison de t’en faire.

Je resterai là jusqu’au bout. Jusqu’à ce que tu embrasses le jardin des os, je continuerai de veiller. Tu t’habilles, presque à contrecœur. Avec les années, tu perçois les vêtements comme une entrave à ta liberté de mouvement. Le pire, c’est les sous-vêtements. T’as abandonné les soutiens-gorges depuis longtemps, c’est pas comme si t’avais grand chose à maintenir en place. Mais tout de même. Ça comprime, ça opprime.

Je rêve de sentir l’odeur du dentifrice, celui qui s’acharne sur tes dents, meilleur allié du rempart ultime qui te sépare des autres. Tu craches, rince ta bouche, racle ta gorge et recommence, vérifiant l’état de ton armure à chaque fois comme si elle pouvait disparaître. Le Chat Gustave VI attends patiemment sur le panier de linge sale, brave bête bien décidée à ce que tu passe ta journée avec, sans imaginer une seule seconde que ce n’est absolument pas dans tes plans : fusil de chasse armé dans ton petit bureau au côté de tes clés de voiture, tu t’apprêtes à conquérir la nature en compagnie de la forêt, passe-temps embrassé pendant tes années de mise au vert, si prévisible venant de toi.

T’aimais noyer les fourmis quand t’étais petite. En vérité, t’as toujours aimé te sentir puissante. Être reconnue comme une prédatrice. Je sais que tu te demandes comment t’as fait pour pas mal tourner depuis le temps. Tu commence à virevolter partout, plus vive que Gustave, un en-cas, de l’eau, une paire de chaussure de randonnée, un couteau à dépecer dans ton sac, une arme à feu sur le dos, regard alerte, comme si t’avais bu une cafetière entière alors qu’il n’y a bien eu que de l’eau, les médicaments et une maigre collation pour entamer ta journée.

Porte s’ouvre brusquement, parce que tu ne sais rien faire délicatement. Pas besoin de regarder plus haut qu’aux épaules pour savoir exactement qui était face à toi. T’es du genre à aimer les surprises, à ce qu’on change ton rythme, bouleverse ton quotidien. Mais s’aventurer sur ton territoire sans y avoir été invité, ça, tu détestes. Habitudes rompues par les années à vivre séparément, ta boule de poil qui se baladait dans le salon s’enfuit d’un bond en devinant une silhouette, bien trop peu habituée à la compagnie.

Et t’aimais pas ça. Éternel sourire, légèrement crispé, en te disant, là, maintenant, que si ce n’était pas Hazel qui te faisais face, ça aurait probablement été un portrait géométrique façon Picasso qui serait ressortis.

« Hazel ! »

T’aimes pas trop qu’on te touche. Même elle. Tes épaules sont un peu redressées, pas sur tes gardes, pas sereine non plus, en posant tes bras autour de son dos pour tapoter d’une délicatesse qui me sidère toujours son dos.

"T'as bonne mine"

Évidemment qu’elle a bonne mine. Elle a passé la nuit à ronfler à poings fermés. Son sourire ne désemplit pas.

"le célibat te réussit bien"

C’était une blague. Tu l’as saisie ? Oh, oui, tu l’as saisie. Ton expression à oscillé, à peine, maigre changement mettant en exergue ta suffisance. J’ai presque ressentis quelque chose de menaçant émaner de toi un instant, pourtant, tu te contentes de pouffer de rire.

« Tu me connais, pas du genre à me laisser dompter. »

Oeil pour oeil, dent pour dent. Oh, ces chamailleries, je les connais. Il y avait comme un air de déjà vu, j’ai presque appris à les apprécier. Si je pouvais interagir avec le monde, je prendrais même les paris s’il y avait un public. Tout dépend de l’humeur et de l’inspiration des championnes et des fines limites qu’elles se retiennent parfois de franchir.

"Je me disais qu'on pourrait passer la journée ensemble !"

Elle se permet d’entrer et je sens ton poing se resserrer alors que tu donne un coup de genoux dans la pauvre porte qui s’écrase, menaçant de rompre de ses gonds alors que tu maîtrise habilement les tiens, sourire légèrement plus fermé, moins à l’aise, arrachant la lanière de ton fusil de ton épaule pour le poser au sol.

« Mais carrément ! Tu me laisses un moment pour me changer ? J’imagine que tu comptes pas m’accompagner chasser, j’ai pas envie de mettre à mal des heures de manucure ! »

Oh t’es énervée, Iris. Ta journée de repos commençait si bien. Ton pas est à peine plus lourd, alors que tu la contourne en effleurant à peine son épaule, geste de tendresse alors que ta mâchoire se resserre dès que tu es dos à elle, te débarrassant de ton t-shirt pour le jeter sur ton canapé avec une nonchalance dont tu as le secret.

En marchant, pas félin, toujours légèrement survoltée, tu laisses tomber tes vieilles chaussures en agrippant le talon, traversant le salon et sa baie vitrée seins nue, pudeur abandonnée depuis de bien trop longues années en marchant jusqu'à ta chambre pour enfin pouvoir prendre le temps de respirer un instant, derrière la porte. Prendre le temps de t’adapter à la nouvelle situation, rendre l’imprévu acceptable.

« C’est quoi l’plan !? On va marcher ou juste se pavaner !? »

Voix plus forte pour se hisser au travers des murs, alors que tu ouvrais ta petite armoire en gonflant tes joues, frottant nerveusement l’arrière de ton crâne. C’est toujours une misère pour toi, de choisir une tenue civile adéquate.

Le sourire de ta sœur devrait te rassurer Iris. T’es pas la seule de la famille à avoir hérité de cette soif de sang. Que se soit pour le meilleur ou pour le pire, tu ne seras jamais vraiment seul. Et je ne fais pas allusion à ton chat, que tu considères comme la huitième merveille du monde. Non. Mais bien de ton sang et de tes souvenirs les plus lointains.

"T'as minci, un nouveau régime ?"

Elle ne peut pas s’en empêcher, n’est-ce pas ? Ca ne t’affecte plus vraiment avec le temps. Les pics sonnent comme des compliments à tes oreilles. Parfois, je ne vous suis pas. Et pourtant, je traîne là depuis les prémices.

« Mais carrément ! J’ai prévu de lancer ma propre marque minceur ! »

Tu ris sincèrement. Moi, jaune. C’est de la faute de ces putains de médocs’. Mais en même temps, si tu ne les prenais pas, tu finirais sûrement en prison et donc, encore plus maigre, alors j’imagine que ça pourrait être pire. Ça peut toujours être pire.

Comme quand ta journée de chasse devient un atelier d’essayage au beau milieu de ton temple, de ton nid, de ta niche, de ta ruche, sanctuaire interdit, du moins je le croyais. Je crois toujours, jusqu’à ce qu’elle me prouve le contraire. Et que tu réagisses en conséquence. Tu te rends compte que c’est des aspects de ta personnalité que je n’aime pas, Iris ? Toujours prête à te plier en quatre et repousser tes limites pour les rares individus sortant des deux simples cases dans lesquelles tu catalogue les gens.

Elle fouine. Et t’as beau le cacher autant que tu le veux, je les sens, tes doigts qui se crispent, si discrètement, t’aime pas qu’on explore ce qui t'appartient. Quand t’étais petite, tu protégeais tes “trucs” comme si c’était des trésors pirates que t’avais récupéré dans une grande aventure. La vérité, c’est que t’es plutôt un félin qui préfère grogner que partager ce qui lui appartient.

"On peut aller chasser si tu veux"

Tu pouffes, secouant la tête en te laissant tomber sur ton lit. T’es nerveuse. Parce que tu sais qu’elle risque de fouiller trop en détail. De tomber sur les preuves d’une solitude nocturne que tu n’embrasse que trop. Pas que t’es pas à l’aise avec tes penchants pour la tranquillité et le fait de suivre ton propre rythme, mais tu le sais. Vous êtes différentes. Vous étiez différentes. Vous serez différentes. Et c’est ce qui vous rassemble.

« Mauvaise idée, tu risquerais de t’abîmer un ongle, ou pire, de t’irriter la peau ! »

"Mais tu me prêtes des fringues..."

Tu ris. Evidemment que tu ris. Bienveillance nichée derrière les piques, t’as l’air d’avoir remarqué, qu’elle a juste envie de se changer les idées. Les vêtements volent, tissus achevant leur course lamentablement au sol, sur le lit. T’as même reçu un t-shirt sur la tête. Te connaissant, t’aurais pu le laisser là et attendre qu’elle se retourne pour crier « Agrougrou, me voilà, l’incontrôlable fantôme Marvella ! »

Ça aurait été de mauvais goût, même pour toi. Alors, tu te contentes de jeter le t-shirt en boule en direction de l’une des zones de danger de ton armoire pour tenter de la protéger tant bien que mal.

« Et en plus, même pas un flingue à la main que tu me tires déjà dessus ! »

C’est vrai que c’est mieux, tiens… Mais ça à l’air de te faire rire. Qu’est-ce qui ne le fais pas, en même temps ? Tu pourrais rire en contemplant la fin du monde, Iris. C’est à ce point que tes épaules sont forgées dans l’habitus de ne plus rien prendre au sérieux. Mais je le sais, que ce n’est qu’une façade, qu’une apparence. Et au fond de toi, tu sais qu’elle aussi, elle en a conscience.

"Oh c'est mignon ça"

Bruit de déchirure, tu hausses à peine un sourcil. Oh, ça ne te surprenait pas, loin de là, mais la mode, ça n’a jamais été ton truc. Les fringues confortables, ça te parle plus. Pudique, vaguement, oui, mais t’aime bien les fringues qui te donnent l’impression de ne rien avoir sur le dos, qui te permettent une pleine liberté.

« Tu sais si tu voulais juste une culotte, ça pouvait marcher aussi ! »

Tu souris, mais tu ne ris pas. Tu ne ris pas, quand t’essaies d’être pédagogue. Et t’essaies, avec Hazel, parfois. Mais crois moi, c’est peine perdue. Cela dit, t’aurais pu t’abstenir d’illustrer avec la taille de ses fringues. Enfin, de tes fringues. C’est gras.

"là c'est canon"

Et tu l’as compris, puisque tu te contente d’acquiescer et de lui lancer un sourire presque attendris face à la satisfaction de sa trouvaille en redressant le bras pour dresser fièrement ton pouce en sa direction, moue se déformant légèrement pour acquiescer avec assurance. Toi, il t’as fallut assez peu de temps, pour choisir et t’habiller. Trop peu, visiblement.

"Tu vas vraiment porter ce truc ?"

Regard que tu portes vers ton débardeur et ton legging, incompréhension s’emparant de toi. Faute de goût évident, oui, mais ça n’a jamais été dans ton champ de compétence et jusqu’ici, rien de nouveau. Mais pour une fois, je suis d’accord avec elle : qu’on se le dise, Iris. Même si tu ne m'entends pas. Tu t’habilles comme un sac. Et pas un sac Gucci.

C’est une catastrophe.

« Déso’ pas déso’, ta soeur aura toujours une allure de Karen, la coupe en moins. »

Tes yeux roulent élégamment autour de tes paupières pour venir se nicher en direction du plafond, ton visage se crispant pour prendre un air faussement énervé, levant tes deux mains en l’air

« “Appelez votre manager !”, on dirait que je suis née pour ça ! Proposes toujours. Mais je te préviens, à tout moment, ça me prend la tête d’être trop serrée dans mes fringues et je les arrache. Bon courage pour gérer ta côte de popularité derrière. »

Ouais. Parce que tu continues d’acheter sans essayer. Pas le temps, pas envie. T’as jamais mis la moitié de ta garde-robe.

"Du coup t'avais rien prévu de faire d'autre aujourd'hui ?"

Tu secoues la tête pour indiquer la négative en te laissant tomber en arrière sur ton lit, geste rituel, quand t’étais petite, tu regardais les étoiles en plastique phosphorescente à ton plafond. Tu les aimais bien, ces étoiles. Elles te rassuraient. De moi.

"Du coup t'avais rien prévu de faire d'autre aujourd'hui ?"

T’as un air ahurie. Comme si on venait de te poser la question la plus idiote du monde, trahissant le fait que tu n’avais même pas la moindre fichue idée de quelle était la date du jour. Ou que tu n’avais tout simplement pas fais le lien.

« En vrai non. Si, j’avais un rendez-vous makeup dans une nouvelle ligne qui s’appelle “AspergezVousDeVicèresDeBestioles”, c’est pas super tendance, mais deux heures de skincare et tu ressort requinquée ! Mais si tu veux juste aller traîner en ville, genre “sortie normale entre soeurs”, ça me va aussi. Dans le fond, survivre dans un centre commercial, c’est presque plus dur qu’en forêt. »

Pour toi, Iris. Pour toi.