John Hunnigan

En 1840, à Londres, un orphelin n'a pas beaucoup d'espoir. Les usines d'armes, les mines ou les larcins. Arthur – c'est le nom qu'on a choisi de lui donner à l'état civil après que ses inconnus de parents l'aient abandonné aux bonnes sœurs – optera pour un mélange de toutes les options. Tirer de quoi manger ici. Racler le charbon là. Se cramer la couenne dans les fourneaux des fonderies de canon là-bas. Une bande d'amis. Des chats errants dans son genre.
Avenir inexistant. Misère assurée. Trépas à moins de trente ans. Et si ce n'est pas une coulée de plomb en fusion, un type détroussé qui le noie dans le Tamise ou une explosion de grisou dans les mines du Nord, ce sera une forme inconnue de toux qui lui fera cracher ses bronches et roter du sang jusqu'à passer l'arme à gauche.

Quinze ans, la gueule charbonneuse. Il pousse son dernier chariot de minerai. Il rêve de la mousse qu'il pourra boire, et des yeux de la petite Sally à qui il compte chatouiller le menton et pourquoi pas visiter ses jupons. Mais non. Le sol craque, gronde, son monde part en morceau quand une explosion fait s'effondrer la mine.
On le ressort inconscient quelques jours plus tard. Le môme a soif, a faim, a quelques fractures, mais il est indemne. Y a le Bon Dieu qui s'est penché sur ton cas qu'on lui dit. Il sera le seul à ressortir vivant de là. Les autres eux, sont dans un état cauchemardesque. Plus de peau, en charpie, cramés, presque liquide. Le seul qui en réchappe a perdu la raison. C'est comme si l'air lui rongeait la peau.

Vingt ans. Sale sourire d'enflure. Arthur s'est arraché de la misère en passant par la porte la moins glorieuse qui soit. Il a une belle gueule, il ment comme un arracheur de dents. Un charlatan itinérant a flairé le filon, et l'emploie pour aller vendre des produits miracles aux blindés de Chelsea. Des onguents pour affiner la taille, des solutions miracles pour faire repousser les cheveux, des pilules pour que les parties nobles prennent quelques centimètres.

Vingt cinq ans, le début des problèmes. Après avoir été rattrapé pour ses bobards, Arthur se planque dans les terres dans un prieuré catholique. Se faire passer pour un moine pénitent permet de se faire oublier... jusqu'à ce qu'il tombe sur de vieux tomes et qu'il commence à lire en latin et que les choses se mettent à se compliquer drastiquement. Les psaumes de Salomon n'auront jamais été aussi dramatiques. Des moines traumatisés hélant à qui voulait l'entendre que des diablotins, chats ailés et autres gobelins infernaux les ont attaqués, ça fait tache. Dans tous les cas, Arthur sait qu'il a un don, et c'est le début des problèmes.

Trop jeune pour comprendre réellement l'étendue des responsabilités, il use et abuse de ses découvertes. Apprendre les rouages de son pouvoir l'amène à fréquenter des cercles douteux. Très douteux. Il faut dire que c'est la mode de l'ésotérisme dans les soirées des gens de la plus haute extraction londonienne. Prestidigitateurs, bonimenteurs et mentalistes défilent. Mais Arthur, lui, a plus à proposer. En s'ouvrant au monde du mysticisme, il se fait un nom. Il est invité partout. Les gens se l'arrachent.

Et parce qu'il aime ce qu'il est, il use et abuse de son don. Son argent lui sert à creuser. Mettre la main sur de plus en plus d'oeuvres et de savoir. Parce que son don est intimement lié aux mythes. Il le sait. Conjurer des diablotins est une chose. Il prétend détenir la résistance et la force offert par des démons et le prouve chaque fois. Mais il veut plus. Alors il va plus loin. Trop loin, même. Tout commence par la Pomme d'Eris en présence de cousins de Victoria ( Oui, la reine. ).  
Et l'orgueil le pousse plus loin encore dans l'erreur. Pour la galerie, les beaux yeux d'une noble et un paquet de Livres, il invoque des esprits plus pernicieux, et sera responsable d'une épidémie de variole dans les beaux quartiers de Londres quand le Héraut de l'Ordre de la Mouche déverse sa pestilence sur son audience.

Arthur lui-même est touché, évidemment.
Et que fait-on quand on se pense intouchable et qu'on croit avoir la possibilité de jouer avec son pouvoir pour tout régler ? Des problèmes, assurément.

Il ouvre un nouveau portail, s'adresse au Roi des Enfers, quémande son aide. Báal est miséricordieux. Báal est prêt à forcer Barbas à lâcher son emprise. Mais il y a un coût : son âme. Arthur accepte. Accepte ment. Arthur pense qu'on peut tromper le prince de la tromperie. La maladie est soignée. Arthur pinaille, contourne, trouve une pirouette. Il suffit de peu, pour être autorité à rejoindre les Cieux et non les Limbes, quand on sait comment le demander. Bénédictions, sacrements. Arthur pense mourir pieusement avec sa richesse. Mais Báal en a décidé autrement. Báal va offrir son don le plus précieux. La pleine santé... et l'immortalité.
Pourquoi ? Simplement parce qu'il n'existe qu'un seul crime qui ne peut être pardonné et il s'agit du suicide. Báal ne souhaite pas qu'Arthur meure de mort naturelle. Báal va le laisser vivre, et demeurera quelque part, accroché à son âme afin de veiller à lui pourrir l'existence en le poussant à commettre l'irréparable.

Leçon apprise à la dure : les pouvoirs ne sont pas des jouets qu'on doit utiliser sans songer aux conséquences. Les pactes, les liens et autres promesses restent des responsabilités qu'on doit apprendre à assumer. Et l'addition, dans son cas, s'avère être salée.
Alors il part, Arthur. Pas encore assez déglingué, il demeure chez lui le vague espoir qu'il trouvera une solution facilement.

L'idée d'un autre démon pour contrer celui qui l'a pris en grippe le traverse. D'autres mondes, d'autres portails. Vingt ans plus tard, il ne fera que trois constats : son tourmenteur n'a pas menti et l'a effectivement figé à jamais dans la même peau. L'espoir est un poison qui pousse à se faire du mal pour rien. Et qu'il n'existe probablement rien qui pourra régler définitivement son problème.

Il songe plusieurs fois à l'abandon. Le monde devient fou, avance à toute vitesse. Les moyens d'en finir vite sont légions à présent. L'électricité vient d'arriver. Rencontrer un train. Des poisons ?
Il a essayé de mourir à petit feu de maladies, mais ça, ça lui est interdit. Ce serait trop simple. L'Insidieux agrippé à son âme guette et veille à ce qu'il n'arrive rien à son petit pantin préféré.

Une guerre, puis une seconde. Avec l'administration plus stricte, il lui faut maintenant changer de nom. Ainsi arrive la famille Hunnigan. William, Connor, Conrad, Bran, Cillian. À chaque génération fictive son identité. Il doit simuler des morts et déclarer des naissances. Se tuer légalement, et se faire naître. L'idée aurait pu l'amuser s'il n'avait pas été aussi fatigué. Des décennies à lutter contre une monstruosité décadente et abjecte qui gangrène l'esprit, ça a de quoi déboussoler. Ça, et tous les proches qu'il a vu mourir au fil des aventures qu'il a pu vivre. L'ésotérisme et la chasse aux reliques ne font pas faire de vieux os. Il n'y a que lui qui s'en sort, toujours.  

Il se demande souvent pourquoi il n'a pas pété une pile et fini par faire le pas de trop. C'est l'époque de l'atome et de la médecine. Foutre la gueule dans un canon à particule du CERN peut être que ça pourrait aussi toaster le petit cul démoniaque de l'enflure qui habite son esprit ?
Non. Il y songe, mais ne cède pas. L'enfer, entre les griffes de ce monstre, il est trop lâche pour s'y risquer dans le fond.

Des Héros qui naissent ici et là. Duncan – il s'est aussi appelé Duncan oui – rêve que l'un deux puisse l'aider. Mais les héros ne sont finalement que des produits bling-bling comme tous les autres. Des moteurs politiques.
Dans un autre univers, il s'était dit que la force nucléaire seule permettrait de définir l'ordre de puissance mondiale.
Mais maintenant qu'il existe des vivants capables de voler aussi vite qu'un missile et d'intercepter des ogives ou des bombardiers, force est de constater que l'atome n'est plus aussi impressionnant.

Amer, il voit le monde virer dans cette folie. L'humanité qui avait presque réussi à s'arracher des Dieux et des Diables via le progrès et l'intellect replongeait tête baissée dans une nouvelle religion mondiale cette fois, dont les principaux représentants étaient des commerciaux, des PDG et des financiers estampillés Seraph Inc. Et par-dessus tout, il fallait voir la gueule des nouveaux dieux : moulés dans des combinaisons ridicules.

Reste que voir le monde partir en toupie ne l'aide pas à régler son problème. Hunnigan pousse comme il peut, cherche à forcer sa chance. Creuser dans l'ésotérisme l'amène à se faire des alliés et des ennemis. Ses alliés ont toujours une fâcheuse tendance à lui tourner le dos, ou à mourir. Parfois les deux à la fois.

Et quand il s'imaginait avoir atteint une fois de plus sa limite, et que l'idée de se foutre en l'air devenait tentante face au constat que, finalement, vivre éternellement sur terre à souffrir bêtement et finir par se faire griller les miches dans le barbecue de Satan, c'était peu ou prou la même chose, voilà que le hasard d'une dernière carabistouille magique l'amène à croiser une nouvelle âme qui le remettra vaguement sur le bon chemin. Une paumée débarquée d'un portail lors d'une tentative de mettre la main sur une relique qui aurait pu l'aiguiller. Le début d'une histoire bordélique et compliquée. C'est à deux maintenant qu'ils visitent le monde, retournent des temples, bousillent des monuments et qu'ils nuisent à l'image que les gens se font de l'histoire et des fouilles archéologiques. Comme si baiser sur un sarcophage c'était si terrible que ça.

Dernière destination en date ? La Cité des Anges. C'est là-bas qu'ont cru bon de s'installer tout un tas de spécialistes mystiques. Des gens biens, des gens moins biens. Fut un temps, il n'aurait sans doute pas fait l'effort de continuer à chercher comment se sortir de la merde. Mais maintenant qu'il n'est plus tout seul, il a une raison de plus de battre. Tant pis si sa raison l'emmerde parce qu'il fume comme un pompier.
Et puis, partir combattre un démon, ça ne peut se faire que dans la Cité des Anges, non ?  

Les gogoleries de Meg, vu que même mes fiches ne m'appartiennent plus   :