Rdv sur le tapis ! (Ft Skye)

Tu n’avais même pas attendu que l’heure dépasse 5h30 pour quitter ton lit, le visage aussi glacé que la couleur de tes iris. Sentant qu’on pouvait lire à des kilomètres l’état d’esprit dans lequel tu étais, tu avais commencé par une longue douche. Toi qui était un adepte des douches froides et rapides, vivifiante, tu te fis bouillir le cuir pendant presque quarante cinq minutes, essayant de laisser couler hors de toi toutes les angoisses qui avaient rongé tout le reste de ta courte nuit. Ton cauchemar ne te quittait toujours pas.
Silencieusement tu avais rejoins la cuisine que tu partageais avec ta soeur et un grognement bien peu aimable s’était échappé de ta bouche lorsque tu avais vu le petit chat qu’elle avait adopté venir te tourner dans les pattes. Pourtant, si l’animal réveillait autant tes allergies que ton non-amour pour l’espèce, tu avais retardé ton café et petit déjeuné pour lui remettre de l’eau fraiche, de la pâtée et même veiller à ce que sa gamelle de croquettes soit pleine. Quand tu en étais revenu à ton café, il était devenu tiède et en soupirant, ça avait signé ton départ pour le travail. Hope n’était toujours pas levée et d’une certaine manière, c’était probablement mieux comme ça… tu ne voulais pas l’inquiéter plus que de raisons.
Conduire jusqu’aux bureaux avait été le temps offert à ton cerveau pour se déconnecter. En mode pilote automatique, tu avais traverser la ville en écoutant d’une oreille les informations de la nuit diffusée sur une onde d’infos en continue. Notant ce qui pouvait avoir des implications pour le boulot, tu continuais à faire tourner et retourner ton cauchemar dans ton esprit, cherchant à comprendre ce que ça voulait dire. Tu ne croyais pas aux rêves prémonitoires, qu’on soit bien d’accord, mais tu savais que ce mutant avait détraqué quelque chose chez toi, et ta peur la plus profonde, la plus secrète aussi, était qu’il ait cassé quelque chose qui te rende moins… bon, moins fiable, moins fort. Qu’il te prenne la seule chose qui donnait un sens à ta vie, au delà des personnes qui t’entouraient. C’était probablement pour cela que tu n’en avais pas pipé mot à Sparte, quand on t’avait récupéré… A personne. Même pas à tes amis ni à ta soeur. Ton premier et seul secret, que tu t’arrangeais pour ne jamais effleurer tant mentir était un art que tu ne maîtrisais PAS DU TOUT… Tout en songeant à cela, tu arrivas enfin à destination.

¤ ¤ ¤

Après être passé par ton bureau, avoir récupéré des dossiers sur les opérations de la nuit dont tu n’avais pas pris part, tu prends le chemin des salles d’entrainement que le building flambant neuf offrait à tous ses employés. Il n’est pas encore l’heure du début de ton service, et si tu n’as pas réfléchi en partant de la maison si tôt, tu décides de mettre ça à profit pour t’entraîner. De l’équipe, tu es peut-être bien le plus chiant en termes de maintiens de la forme physique. Tu t’entraînes tous les jours et pire que ça, tu traines tout le monde pour en faire autant.

Ainsi, tu oublies un peu de tes nerfs en pelote d’aiguilles, pendant que tu cours comme un taureau qui charge sur un tapis de course. Courir n’est même pas ce que tu préfères, mais là tout de suite, c’est probablement ce qui te soulage le plus. Quiconque te connait un tant soit peu, peut se douter que quelque chose cloche, alors que tes yeux sont fixement posés droit devant toi, complètement absents, ton visage plat. Toi qui souris pour tout et tout le monde, sans même y réfléchir, tu as l’air… apathique. Pas mal, pas en détresse, pas triste. Juste absent. Juste comme si le soleil s’était planqué derrière un nuage blanc, moutonneux et paresseux.

C’est parce que tu as oublié de mettre tes écouteurs dans tes oreilles que tu finis par entendre la porte de la salle de sport s’ouvrir. Ca te ramène à la réalité, sans te faire te retourner, mais la manière dont la porte s’est ouverte et fermée, le pas, l’heure, tu saurais même pas le dire, tu te doutes de qui vient d’arriver et ta voix, un peu trop grave malgré l’éclat de bonne humeur que tu y mets sincèrement, s’élève :

« Je vais t’éclater sur le tapis, j’espère que t’as pas fait trop de folie avec ta dulcinée cette nuit, mon p’tiot. »

Tu continues d’avancer sur place, d’avaler le tapis de cours enjambées par enjambées, comme si ça allait changer quoi que ce soit à ton état d’esprit. La vérité, c’est que tu peux bien manger ce que tu veux, tu ne vas pas oublier l’image incrustée sur ta pupille du corps du mutant sans vie. De ton ami. De celui qui ne doit pas mourir. C’est pas possible autrement… Du coup, quand tu entends sa voix lente, qui t’assure qu’il s’agit bien de Skye et pas d’un tour de ton esprit embrumé, tu détournes la tête du mur pour le regarder. Et tu lui offres… ce regard. Celui chargé d’appréhension que tu files à ta soeur quand elle rentre en retard à la maison. Celui où tu examines chaque millimètre carré pour t’assure que tout va bien. Le regard etouffant, que les gens détestent en général, et… une moue barre ton visage.

« T’as l’air crevé, vieux. »

Il a globalement une sale tronche, mais t’arrives pas à savoir si c’est ton angoisse qui l’aggrave ou juste s’il est encore trop fatigué pour avoir l’air ok. Tu ne te rends même plus compte que tu continues d’avancer sur le tapis à un rythme légèrement moindre, tant tu es rongé par tes pensées. Et c’est quand tu vois le spartan s’écarter de toi, avec cet air qui veut déjà tout dire, qu’un grondement s’échape de toi. T’as même pas eu le temps de l’attraper pour un petit combat d’échauffement qu’il s’étale déjà dans un coin de fenêtre et que, si tu le laisses faire tu le sais, il va se remettre à dormir aussi sec.

« Lève ton cul ! Si tu t’endors ici, je te jure de te tatouer la face à l’indélébile ! »

T’as beau prendre ce ton de gros ours mal lêché, il parvient à te tirer un sourire ce con. Aussi, quand il pointe le fait que tu cours encore comme un abruti, tu soupires et arrêtes le tapis par étape. Quand tu mets le pied-à-terre, tu commences par enfouir ton visage dégoulinant dans ta serviette, avant de relever tes yeux bleus translucides vers lui, et tu te figes. Une tension que tu ne montres jamais à personne s’affiche dans ton attitude, comme si t’allait… craquer ou exploser d’un coup, puis tu la ravales et tu viens t’appuyer au tapis de course.

« Parce que l’entrainement c’est important et que j’adore cogner sur toi ? Tu lui réponds, avec un demi-sourire qui n’arrive pas tout à fait à illuminer ton regard. Et que j’avais besoin de m’assurer d’un truc. »

Tu ne mens pas, tu t’arranges juste pour dire la vérité sans qu’elle n’en dise trop elle-même. Tu pourrais ensuite te jeter sur lui pour le forcer à te faire face, mais sa remarque te fait serrer les dents. Tu finis quand même par lui offrir un sourire. Dur, nerveux, mais un sourire sincère qui vient du fond des tripes quand même.

« Ouais hein. En même temps, si tu pouvais éviter de venir hanter mes rêves avec tes boyaux à l’air, ce serait sacrément sympa. Bon, ça c’est dit. Tu passes une main dans tes cheveux, laissant une crète iroquois derrière sans même le voir. Tu vas bien hein ? C’était qu’un rêve. »

Tu as besoin d’en être certain. Ce pouvoir qu’à utiliser le mutant sur toi rend la frontière entre réel et cauchemar si fine, si trouble, que tu n’es pas toujours certain de ne pas vivre vraiment très rêve et parfois même que la réalité est bien réel et pas un rêve. Un soupir las t’échappe et t’essaies de te sortir de ce bourbier.

« Pourquoi t’as cette tête ? T’es fatigué ou y’a quelque chose qui va pas ? »

Bah ouais. Voilà tout ce que ton ami a à te répondre quand tu t’inquiètes de son état. Tu voudrais qu’il s’épanche un peu plus, pour une fois. T’aimerais être certain que tout es ok, que tu n’as pas lancé le mauvais oeil sur lui avec ce cauchemar que tu ne parviens même pas à vraiment expliquer. Et tu vois, tu parles pourtant. Tu lui dis vaguement ce qu’il s’est passé cette nuit dans tes songes, tout en préférant t’inquiéter pour lui que pour toi. Tu es incapable de partager sincèrement ça avec la seule personne que tu considères assez proche de toi pour en faire un frère de coeur, et t’aimerais qu’il s’ouvre plus à toi. Quand on y pense, c’est complètement débile.

D’un seul coup, tu vois Skye se bouger, et tu as presque l’espoir malsain qu’il vienne pour t’en coller une. Au moins, tu aurais toutes les raisons du monde pour te défouler ensuite. Mais non, il récupère sa bouteille, boit, puis son sac, et toi, t’es vraiment comme un chiot qu’on va abandonner. Tu le regardes faire, la bouche entrouverte mais incapable de le retenir. Et quand il vient te répondre, le visage tourné vers toi, prêt à partir, bah tu restes complètement con.
T’es lisible à ce point, Clay ? Tu as passé des mois et des mois à feindre que tout allait bien, qu’il se s’était rien passé pendant la Civil War, mais il suffit que tu le titilles un peu trop sur lui pour qu’il cogne pile au bon endroit. T’aimerais t’énerver, en vrai. Ce serait plus sain que ce silence complètement choqué que tu lui serres, tout comme tes poings le long de ton corps d’ailleurs. Tu es en train d’essayer d’attraper toute la colère qui pourrait exister en toi pour la tisser et en faire quelque chose qui te tire de cette mouise, mais une question te fait cligner des yeux. Tu te rends compte que t’as toujours pas bougé, et que Skye te regarde, avec ce sourire bref. Et tu comprends qu’il essaie de te tendre une main, et tu laisses littéralement toute la colère rassemblée retomber au fond de toi, pour ne laisser qu’un visage étrangement plat, perdu, sous ses yeux clairs.

« Les deux. Ça a commencé dans le désert, et ça a fini dans les rues que j’ai arpentées pendant cette merde. Tu réponds d’un bloc, en sachant très bien qu’il parle de deux types de conflits que vous avez connus. Je sais que t’es pas mort… mais tu l’étais cette nuit. Tu articules lentement, avant de braquer ce regard que t’offre à pas beaucoup de gens. De la faiblesse, au fond de tes iris bleu glace. Comme j’ai cru que t’étais mort à cette époque. Tu lui apprends, n’ayant jamais vraiment dit tes craintes pendant la Guerre Civile et le craquage de Skye dont t’ignores à peu près tout ce qui s’est déroulé ensuite. J’te demande pas de me raconter, j’t’explique juste. »

Tu sais qu’il ne voudra pas en parler. Tu sais pas ce qu’il a fait à cette période de sa vie, mais tu l’as vu revenir en morceau et franchement, t’as eu les boules pendant longtemps. Tu t’es senti impuissant et dieu que tu as haï cette sensation. Tu ravales pourtant les remémorations de ces événements, pour avancer d’un pas vers ton meilleur ami.

« Me mettre en arrêt, ça r’viendrait à m’enfermer en taule avec mes démons. Que tu lui réponds enfin, à ses remarques d’avant. J’pense que ça, tu peux le comprendre. Ta mâchoire se verrouille, marquant ton visage de cet angle dur. Et voir un psy, ça reviendrait à crier à Sparte que j’vais pas bien. Tu finis devant Skye et le ton que tu prends est dur, froid, presque provocateur. Et j’vais bien... pour tout le monde. »

C’est pas que tu veux dire à Skye que t’as rien, non, c’est que tu ne veux pas qu’il alerte votre supérieur parce qu’il craint pour toi. C’est ça que tu lui dis avec ce grognement.