LA, june 2025 | ... eleven o'clock, twelve o'clock, rock. We're gonna rock around the clock tonight, put your glad rags on and join me, hon'. We'll have some fun when the clock strikes one. We're gonna rock around the clock tonight. We're gonna rock, rock, rock, 'til broad daylight. We're gonna rock, gonna...
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✦ ✦ ✦Mémoire en esquilles, des relents de gerbe aux profondeurs de la gueule.
Trajectoire aléatoire à travers le sud, ses instincts pour dicter sa conduite, sa faim pour ébouillanter ses sens. Lorenzo qui n’est plus tout à fait Lorenzo. Lorenzo éparpillé à travers le temps, ne subsiste ce jour que Miseria et quel jour putain quel jour. Les yeux roulent dans leurs orbites et le nase se soulève. Les odeurs, il les déguste, les avale, les recrache dans un soupir devenu râle. Des jours qu’il traque. Des jours en semaines sans que les mois d'avant lui reviennent. Obsession mortifère pour une entité qu’il ne saisit pas. Merdeux guidant sa bande de crevards vadrouillant dans les artères de la cité maudite. Les couronnés pour lui balancer un domaine. Un territoire mis en charpie.
Un incendie propagé souffle ses notes acrimonieuses. Elles crament sa trachée puis ses bronches. Paupières battent sur les onyx et le fauve dérive encore. Car avec l’incendie se mêlent les nuances de sang, de sueur, de merde et de pisse ; de putréfaction. Corps inanimés corps invisibles corps planqués corps perdus. Cadavres de junkies dont il reconnait les senteurs. Plus rien ne l’écœure. Le sang le sang toujours le sang, le sang en unique mélodie sachant ravir son cœur. Le sang qu’il entend battre, tambours de guerre, apocalypse prochaine ; torrents en multitude à l’assourdir. Il approche et il se coule à la fête. Parc d’attraction démoli, des ruines sur d’autres ruines encombrées de ruines aux formes vaguement humaines. Un sourire tranche sa face, creuse ses joues piqués de poils autant que de crasse, dévoile ses ratiches trop blanches et trop longues. Pas de joie, jamais de joie, plus de joie. L’égarement de son excitation prédatrice.
L’horizon bousillé par un trop-plein de couleurs, les rétines brûlées par les émanations et le soleil qui lui tape sur le râble. Une chaleur à tuer ; une chaleur attisant la violence qu’il garde fermement entre les côtes, entre les dents, sous l’ovale du front. Se musser dans la misère des tarés comme une seconde nature. Il est fantôme, il est anonyme. Et il n’a d’yeux que pour elle en lui : sa cible aveuglante sous la clarté, sa tignasse blonde pour briller comme celles qu’ont les anges sur les peintures de l’avant ou de l’après lui en lui en qui ; souvenances-fractures il dérive une énième fois et se cogne brutalement au réel. Trébuche. Le cuir de ses godasses ripe au bitume. Il en éclaterait de rire, s’il n’avait pas envie de lui ouvrir le buste en deux. S’il n’avait pas envie de démolir le beau qu’exhibe la proie alors qu’elle suinte l’horreur. Son parfum comme un poison, comme une gangrène lui chatouillant le museau et allumant sa rage.
Aimanté à l’incompréhension d’un tel spécimen. Une éternité à errer, pour finalement effleurer au hasard des rencontres des êtres tordant son tangible. Un putain de réel couvert des miasmes de l’ennui. Cet être-ci le captive. Sa chair toxique autant que ses artères charrient une liqueur absurdement rance. Dope est un mensonge.
Miseria songe qu’il serait bénéfique de bouffer tous ceux qu’il perçoit à proximité. Ne laisser que lui et lui au milieu d’eux. Et qu’il parle et qu’il explique et qu’il justifie les conneries les boucheries les éclats de rires sans rire qu’il a entendus à force de le suivre. De l’écouter. De le renifler sans mordre. Car. Des jours de traques en semaines sans que les mois d'avant lui reviennent.
Il se tait. Inapte à la parole, inapte à l’approche. Pas encore. L’envie de bâfrer au point de gémir. Et gémir, c’est ce qu’il fait, sans même s’en rendre compte. Tordant ses longs doigts osseux les uns aux autres, retenant les pulsions quant à son intime palpite l’Anima à le rendre dingue. Il voudrait les faire taire, ceux à l’intérieur – ceux auxquels il a promis son existence mais d’existence Miseria n’a pas. Il voudrait leur brailler de dégager, il voudrait probablement les démembrer pour ne plus rien ressentir rien ressentir plus rien ressentir que le vide absolu le vide qui aspire le vide en solitude qu’il ne connait plus. Il a promis promis il a promis à Sibylle de rester de veiller de se cramponner. Alors. Les paladins sont encore entiers et c’est un drame. Dégénérer encore, dégénérer perpétuellement et se paumer pour de bon à travers les layons de l’univers.
Le sourire s’est éteint aussi vite que les yeux ont harponné un morceau de chair. Sa proie désormais à moins de dix mètres. Dope Dope il s’appelle Dope, Dope Dope ils l’appellent Dope. Dope planté parmi ses zonards.
Miseria étouffe du bordel.
De la musique merdique crachée par les enceintes. Des cris des connards.
Un bledard rachitique lui percute l’épaule et la nécrose est immédiate. La nécrose en punition. Sa rage expulsée comme on allume une cigarette, sans précipitation. Coincée entre les crocs, pinçant le filtre, aspirant la mort. Le sourire reparaît et le crève-la-faim oscille, hoquette, cherche à comprendre son bras pourri à l’extrémité et si vite rongé par la vermine jusqu’à la gorge. Le couper ou ne pas le couper. L’arracher ou ne pas l’arracher. Se laisser envahir et puis- Et puis ça gueule, bien fort. Mais pas assez pour alerter les autres, pas assez pour inquiéter car rien n’a de sens, ici. De fait, ça glapit et ça appelle à l’aide et ça se vautre à trois mètres en chialant quand Miseria se cale à un mètre de Dope. Observe son profil. Dégringole sur la couleur du short qui lui pendouille sur le bas du bide, remonte sur le glabre du torse exposé par la chemise ouverte. Pas une allure de leader. Une allure de môme pour dissimuler le monstre.
–
Dans combien de temps ? lâche-t-il enfin.
Sans desserrer les machoires.
Dans combien de temps il pourrira, lui aussi. Nourrissant les pissenlits et les orties, offrant sa viande aux vers dodus et blancs et achevant de faire chier le monde entier avec ses neurones grillés par l’abus de-
Battoirs enfoncés dans les poches de son blouson, sa chemise au-dessous poussiéreuse mais sèche. Le froid de son corps tout juste tiédi par l’astre perché, par la température ambiante. Macchabée badinant en enfer.
Miseria mâchouille le néant entre ses molaires, s’attaque ensuite à sa lippe. Écorche à faire saigner, passe ses nerfs.
–
La musique, il articule.
Se foutant de tout. Obsessif.
La musique trop forte, la musique qui lui explose l’encéphale. Le regard aux cernes glauques se paume non plus sur Dope mais aux contours d’un gorille ayant abandonné son poste ; la surveillance de deux trônes pour qui et pour quoi. Les couronnés - absents, la Cour -réclamée, et l’absurdité de la vision le fait marrer. Un rire sec, rayé. Dans la gorge, du gravier.
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Faut pas.Qu’il approche qu’on l’approche qu’on le touche.
Il a faim et puis ils l’emmerdent, tous.
–
Faut pas, il répète.
Sa voix en murmure, en éboulis. À ne rien entendre. À disparaître au capharnaüm.
Cette fois plus de sourire plus de rire et l’attention portée de nouveau sur Dope Dope qui a bougé Dope qui a glissé Dope dont l’odeur se répand et inonde ses perceptions.
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T’as quoi dans les veines. Question primordiale et tant pis pour le gorille qui chute, violemment, à distance d’eux ; perd la batte de baseball avec laquelle il escomptait lui déconstruire la figure et lui remodeler les jambes. Ses jambes, à lui, se sont brisées nettes. Le don à l’invisible, le “faut pas” explicité sans bruit, l'impulsion macabre de ses aptitudes contre-nature. Et la faim sitôt s’intensifie. Aux tympans, ça résonne encore. Le craquement audible, sinistre. Un énième craquement s’en suit, éveille l’intérêt fragile de Miseria ou Luke et où est Lorenzo où est Lorenzo qui est Lorenzo. Le crâne bascule de côté et la bouche s’entrouvre. Le fautif mate les jambes pliées désormais dans le mauvais angle du gorille qui se traîne comme un putain d’asticot. Les quilles pareilles à des équerres disposées là, sous lui, pour soutenir sa douleur.
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Fallait pas, j’ai dit, chuinte-t-il à l’intention du gorille ou de Dope.
Du gorille et de Dope et de tous ceux dont les globes oculaires convergent dans sa puis leur mais sa surtout, direction. Une explication sans excuse et l’indifférence pour lui peindre les ridules.
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Alors… il recommence. Il s’obstine, il s’aliène.
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Dope. La tête remise dans l’axe. Cette fois l’attention rivée, épinglée, sur Dope. Dope qu’il poignarde de son regard-cutter, oubliant pour quelques secondes ce et ceux qui les enveloppent.
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T’as quoi dans les veines. Pas du sang ou peut-être que si. Du sang son sang qu’il sent quasiment bouillir, les flux et ondoiements du corps de Dope giflant ses sensations déréglées. Du sang nucléaire.
Et il devient difficile, de l’entendre. Tellement difficile de l’entendre lui et d’écouter en contraste la réponse de Dope oui Dope Dope ils l’appellent il s’appelle Dope. Car maintenant il y a les cris du gorille en plus des cris du crevard et il y a les cris de panique au milieu des cris de délires au-dessus de la voix nasillarde des enceintes qui répète
we'll have some fun when the clock strikes one et qui répète
we're gonna rock around the clock tonight et qui promet
we're gonna rock, rock, rock, 'til broad daylight.