Bad Blood

11.11.1845 | Naissance, Milan, Italie.

1855 | Apparition des pouvoirs. Filiation. Les mâles ont le privilège d’avoir le sang divin. Un sang damné, en réalité. Le corps en oblation au Dieu Noir. Epoque de superstitions.

1858 | Mariage arrangé, promis à une lignée rivale. L'alliance en vue d’apaiser les tensions pesant sur la ville, liant le sang et le pouvoir. Rencontre avec Novella Della Rovere.

1862 | Fiançailles rompues, son oncle paternel dégénère. La mutation attaque les chairs et le crâne. Il agresse lors d’une réception un membre de la famille Della Rovere - qui le prend comme une offense. La famille Strozzi dissimule l’avilissement du sang sous l’apparat de la colère. L’affaire est enterrée, l’oncle éloigné de Milan.

1864 | Lorenzo est de nouveau vendu ; un mariage arrangé avec l’une des nièces du Pape. Cosimo Strozzi, son père, souhaitant gagner en influence. La lignée pontificale désireuse d'obtenir le pouvoir divin. Accords et arrangements à l’ombre des murs et des portes closes.
Cosimo Strozzi impose sa volonté à son fils, et le donne en pâture, corps et âme, à ses aspirations. Usant du pouvoir courant dans leurs veines afin d'opresser son engeance. Lorenzo au devenir de pantin, ses yeux devenant yeux de son père, sa langue parole de l'aîné. Lorenzo décide de fuir ; l’élan est donné par celle qu’il aime : Novella Della Rovere.

1964-1970 | Première mort. Rituel de Cosimo inachevé le pousse au trépas ; mutation décuplée. Engeance de démon, il ravale ses pulsions. Se tue à petit feu. Novella pour le ranimer ; magie du sang traverse son corps. Novella pour le rendre toujours plus monstrueux.
Ils s’enfuient de leur pays, se glissent au travers la peuplade. Se font oublier. Prennent un des bateaux d’émigrés en direction du nouveau continent. L’Amérique.
Plus les années passent, plus Lorenzo se corrompt. Le jeune homme de vingt-ans en fait près de quarante. En parallèle, il dévore Novella dans le silence de leurs échanges ; psyché fissurée, tout devient un massacre.

1970 | Ils comprennent qu’ils se sont condamnés. Trop amoureux et trop jeunes, sans aucune réelle conception des conséquences pouvant les foudroyer. Ils ont joué avec le feu et se sont brûlés. Ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Ils décident d’en finir pour se retrouver, ailleurs. Ils ne doutent pas acquérir une place aux côtés de Dieu, malgré le péché du sacrifice qu’ils s’apprêtent à faire. Malgré les péchés commis depuis trop d'années. Ils se rachéteront. Ils ont juré de s'aimer. Un amour fidèle, une dévotion absolue. Pour le Saint-Père et l'être aimé.
Lorenzo tue Novella, la libère enfin de la démence qui la ronge. Se tue ensuite, en priant pour recevoir la pitié, qu’on ne lui accordera pas.
Seconde mort ; mutation vorace. Entité de charnier.
Sa mutation se nourrit sur le cadavre de sa bien-aimée. Il se réveille et son horizon n'est plus que brouillard.

XXᵉ | Errance, à travers villes et pays. Tente de rejoindre Novella, tente de mettre fin à cette existence de chimère. Rien n’y fait. Se contorsionne aux arabesques de ses dons en malédictions. Lorenzo est incapable de mourir, qu’importent les moyens dont il use. Et plus il s’acharne et plus il dégénère. Se rappelle son oncle, se rappelle son père, se rappelle sa lignée tout entière ; tous damnés mais ayant trouvé le repos. Finit par en vouloir à Novella elle-même, finit par en vouloir au monde entier. D’homme il chavire et dérive à bête. Perd la notion du temps, ce temps qui depuis le commencement lui échappe. Lorenzo se brise, sa conscience s’éparpille sur des dizaines d’années. Des béances dans la trame de son existence saccagée. Refait surface, parfois. Au détour d’images, de sensations. Des odeurs, des textures, une voix. Et puis la réalité le frappe et tout remonte et lui soudain disparaît.

2007 | Rencontre un être sensiblement similaire à Novella, un pouvoir qui étreint ; un pouvoir forant le voile entre vie et mort. Sa rage désenfle et les possibles lui reviennent. S’il ne peut pas quitter ce monde alors il peut néanmoins la ramener, elle. Et pourquoi. Pourquoi lui infliger un retour ici-bas quand il ne rêve que d’en partir. Et pourquoi. Pourquoi la ramener quand il la hait. En lui boursoufle les sentiments éveillés au contact trop proche de la mutation de l’être rencontré. Un écho à ses abîmes qui lui perfore thorax et cortex. Lorenzo se rappelle lui-même, par éclats. Lorenzo se rappelle des pourquoi. Le sang et le pouvoir de Novella coulent depuis des siècles dans ses veines, désormais. Il les transfuse au cours d’un rituel qui lui échappe. Novella sera. Mais Novella n’est plus. Et Lorenzo s’affaiblit et se ligature un peu plus l’intime. Se parcellise.

Un enfant nait, quelque part. Un enfant dont l’âme déchirée a été recousue à celle qu’il voudrait punir de l’avoir abandonné.
Il suppose le rituel en échec, sans pouvoir ni la voir ni la sentir, sans savoir qu’il l’a condamnée elle aussi.

2014 | Il recueille les images comme on raccommode une mémoire. C’est impossible, pourtant il s’y attelle. Angoisse persistante de s’engloutir aux méandres de ses rages. L’Art attise ses instincts. Peintures, dessins, musiques, écrits. Il cherche à ralentir son déclin, il cherche à recoller ses morceaux. Peine perdue d’avance. Il s’écharne. Et au détour d'une vente ordinaire, il se souvient enfin. Si précisément que son cœur mort tape contre ses côtes de calcite. Il se souvient, et la toile qu’il a sous les yeux n’est autre qu’un bout de son histoire à lui. Doute n’est pas permis. Doute est pulvérisé. Lorenzo s’accroche au pseudonyme de l’artiste, sans trouver son identité. Lorenzo se voit à travers ses œuvres ; Lorenzo est peint. Lui, lui si jeune, lui qu’il ne savait plus avoir été. Lui, et la silhouette de celle qu’il a jadis aimée.

2015 | L'année coule et l’esprit trépasse à nouveau. Fragmentation de l’être, la mutation le dévore. Entité morfale, il parcourt les cités et oublie ce qu’il est, qui il est. Se planque dans les coins malfamés, laisse derrière lui des massacres. Corps démantibulé, corps recomposé, corps oublié. Holocaustes aux noms des dieux auxquels il ne croit définitivement plus – mensonges. Malgré la fracture mémorielle, malgré la distance creusée avec le tangible, Lorenzo se rattache à ce qu’on lui a appris, à ce qu’on a gravé à sa viande et son intellect durant toutes ses premières années. Traumatismes en oraisons. Il émerge, à nouveau. Il émerge au contact de celle qui lui promet une renaissance. Sibylle le contraint d’abord, avec l’aide d’autres de ses corneilles. Il ne comprend rien, à ce qu’ils lui font. Il se rebiffe brièvement. Mais son corps n'est que brisures et esquilles et son esprit est un lac de goudron. Une caresse et le murmure d’une promesse de libération finissent de le soumettre. La cause, elle lui est expliquée des semaines plus tard. La cause, il parvient à la rejoindre et s’y souder, des mois après. La cause, il s’y ruine et s’y efface. Lorenzo qui n’est plus. Lorenzo que personne ne connait. Un prénom donné : Luke. Un prénom qu’il préserve aux recoins de sa cervelle quand pour le commun il se reconstruit sous les traits du bourreau de Damoclès. Sa violence et sauvagerie mussées derrière une cause dont il se fout. Il n’y a que Sibylle, toujours Sibylle, qui sache le rattraper. Sibylle devenue l’ancre à son existence dépecée.  

2019 | La mort de Sibylle menace le faire plonger. Les paladins – plus exactement l’Anima – dentelle ses perceptions ; à le faire hurler et se disloquer. Les visages s’enchaînent, les visages sont parfois aimés et dès lors disparaissent. Les paladins meurent et les paladins naissent et Lorenzo n’en a rien à branler. Il suffoque et lentement redevient sourd et muet à l’humanité. Il se replonge au secret de ses pièces de puzzle disséminées : Lorenzo retourne à l’Art. Il retourne à sa quête de lui-même et cherche un moyen d’échapper au sud de Los Angeles, sans y arriver.

2032 | Novella reparaît. Ses traits sans être elle. Seulement quelques semaines pour comprendre et apprendre, pour la démolir ou protéger. Le temps, une énième fois lui file entre les phalanges. Tout se liquéfie et moins d'un mois suivant sa rencontre en résonnance ; une envie de crever le fauche. Dégueulis sensoriel, lorsqu’il la perçoit, lorsqu’il la pressent, lorsqu’elle envahit l’Anima et diffracte leur équilibre déjà ravagé. Sa fureur s’esquinte à son besoin, sa haine dérape au gouffre. Lorenzo ou Luke, l’identité percluse de douleurs, de fissures et plaies infectées. Il quitte le repère de ses frères ; ceux-là mêmes qui exigent de lui ce qu’il n’est pas apte à donner. Une aide, un soutien, un repère pour Fatum. Lorenzo sait l’avoir condamnée ; elle et toujours elle, Lorenzo sait l’avoir maudite. Ici, avant. Présent et passé enchevêtrés et cette saloperie de Cour Sacrée qui avant même qu’il ne puisse remettre la main sur elle et l'écraser, s’en est emparée.

2033 | Sibylle comme une hantise, ses prophéties comme une mauvaise fièvre. Elle n’est plus là, et désormais ses mots et ses maux, Lorenzo les éprouve plus durement que jamais.

le multivers de Meg-Love qui a décidé d'écrire ma chrono: