Event #1 - Le bordel dans le sud

Finalement, bien que l'idée de sauter a pu effleurer certains d'entre vous, vous n'aurez pas les pieds dans l'eau. Et si vos chaussures sont trempées, c'est par le sang des cadavres de plus en plus nombreux. Vous devriez vous estimer heureux, beaucoup des balles qui ont fauchés les inconnus qui courent dans tous les sens comme des poulets sans tête étaient sans doute destinées à vos carcasses.

Pour l'heure, le commando progresse, continue son œuvre de mort et vous n'avez pas d'autre choix que de refluer vers l'extrémité du pont. De gré ou de force, vous atteignez l'autre rive. Retour au point de départ. Le lieu de la première rencontre et de la fondation tacite de votre équipe improbable.

Pas le temps de réfléchir à votre sens aigu et très affûté de la lose. Vous devez continuer à fuir. Et comme les balles fusent à droite, et à gauche, c'est bien dans l'avenue du prolongement du pont que vous devez vous engager pour continuer votre fuite, avec les cinglés à vos trousses et une foule de moins en moins dense.
Vous êtes peut-être très peu doués et plutôt malchanceux en apparence mais vous au moins, vous êtes bel et bien vivant ; ce qui n'est pas le cas des gens qui crèvent et agonisent autour de vous.

L'avenue donc, s'enfonce vers le Sud : le zoo à ciel ouvert de Los Angeles.
Vous savez que ça pourrait être une bonne idée de vous engouffrer dans une ruelle sombre. C'est encore le meilleur moyen pour vous de fuir les fous dangereux qui mitraillent à tout-va. Probablement que dans votre lose cosmique, vous parviendrez à les semer...

✶ ✶ ✶

Idée folle déployée sous ses pupilles dilatées : franchir la rambarde et quitter le pont. S’amuser à zigzaguer entre les balles et se noyer à la moindre erreur. Saut de l’ange, plongeon dans le bouillon de saloperies du canal. La grimace lui tire sur les babines tandis qu’il observe le prédateur gémeau et la poupée de chiffon qu’il embarque avec lui. Les deux dépassant la file indienne de cadavres en sursis qu’ils sont. Pourtant, dans l’instant qui suit, un éclair de lucidité ou l’angoisse de la mort réveille le moineau. La blonde décide de quitter les bras et les envies dingues de son protecteur, retrouve le sol immonde de fluides humains et mutants. Et les corps continuent de tomber, et le vacarme infernal d’inonder ses tympans.
Un sourire fugace l’esquinte, dès lors qu’il tape à nouveau le macadam du sud. Semelles moites et collantes. Plus de connerie de pont plus de connerie tout court - l’échappée à portée de doigts. Le fauve se redresse, agrippe sans trop y penser le col de celui qui traîne derrière ; le poulet qui malgré le bordel et le sang qui lui peinturlure la gueule, n’a pas flanché. Pourra toujours servir, avec son arme qu’il suppose faire des ravages, avec son essence dont il pourrait se goinfrer. Sa langue lèche sa lippe et le sourire ouvre davantage sa face osseuse. Le bonheur d'un imminent festin.
Les instincts réanimés de moitié, Luke comme défiguré par ses perceptions déstructurées. Sent à nouveau sans rien ressentir, perçoit et devine et soudain se cogne aux douleurs se cogne au monde se cogne à tout. Son bras continue de pisser son rouge et le feu dans son crâne berce ses délires. L’émail reparaît, lèvres absolument soulevées. Il chuinte, en s’enfonçant d’une démarche rapide et souple dans le sombre et glauque d’une venelle perpendiculaire à leur dérive : quelle idée.
Le brunch, le samedi matin, les discussions ou les carnages - il faudra choisir. Plus tard. Plus tard. S’arrête subitement, bloque le passage, pivote et lacère de son regard-poignard chaque visage à proximité.
– Le samedi, il articule. Les mâchoires tellement serrées par les élancements qu’elles craquent. Pourquoi le samedi et pas le dimanche ?
Le jour du seigneur, le jour du partage.
Les sourcils haussés et la bouche de travers, Luke se détourne et balance les épaules. Soupire et défait pour de bon sa prise du col de la flicaille, le laisse respirer et gémir en compagnie des deux blondes.
La marche reprend pour quelques secondes, à peine cinq expirations. Il s’arrête encore, vire de bord. Une pensée fugitive entravant son instinct de survie qui s’étiole. L’animal savourant furtivement les substances qui l’entourent, désireux d’en avaler sucer bâfrer à loisir, au point d'en refermer ses chairs déchirées et jouir.
– Pourquoi que des blondes et que des bruns, et pas une blonde et une brune ou rousse et un brun et un blond et un roux ?
C'est tragique. Le balancement de couleurs n'est pas optimal, l'horizon inégal ; la succulence de l'extinction entraperçue, réduit à néant néant proche du néant putain de néant. Ses cils s'ébattent, ailes de phalènes. Luke se paume en conjectures, se fascine du rubescent qui néanmoins tartine abandonnement les carnations clair de lune.

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récapitulatif personnel de la manche
@Carmine Morgenstern @Clayton Myers @Cornelia Weiss  @Judith Vanzetti

Autour de vous, les gens tombent toujours tels des moucherons. Quand ce ne sont pas les balles qui fusent, c'est l'utilisation de pouvoirs qui viennent déchiqueter un fuyard ici, faucher deux locaux là. Et le professionnalisme déployé par les assassins a quelque chose de sidérant. Comme l'océan qui fonctionne par vague, ils tuent, progressent, se relaient, quand d'autres viennent simplement attraper les cadavres sur le chemin pour les tirer en arrière et les regrouper. Dans la panique, vous êtes même en mesure de remarquer plusieurs véhicules, noirs eux aussi. De petits camions déversant d'autres étranges miliciens habillés de la sorte qui viennent former des chaînes humaines afin de charger les corps comme s'il s'agissait de vulgaires détritus. Sur le pont, c'est au karcher et à l'aide de raclette que les torrents de sang sont évacués.

Et vous, dans votre fuite, vous finissez effectivement par arriver à proximité de l'embranchement de la ruelle, avec bien des difficultés. Seule petite victoire au tableau : tu goûteras enfin à ta propre médecine Carmine en retournant prélever quelques chicots. Cette fois, le commando ne vous loupe pas, et le fouet de feu de l'un des assaillants impose une marque terrible sur ton dos.

Du reste, c'est aussi un moyen pour vous de constater que vous êtes presque les derniers survivants. Il ne reste en effet que quelques fuyards seulement, en retrait. Des gens blessés, ou cachés qui espèrent s'en tirer mais que les assassins ne louperont pas.
Dans votre malheur, il y a du positif donc. Mais il faut continuer sur votre lancée, maintenant. La ruelle est là, à deux pas. C'est votre seule chance, vous le savez.

Votre survie est là. C'est ça, ou mourir et disparaître à jamais dans une camionnette noire douteuse.

✶ ✶ ✶

Le dimanche. Le dimanche qui n’ira pas pour le prochain rendez-vous. Une interrogation surplombée par l’incertitude. Il n’est aucunement fait mention des couleurs couleurs des couleurs qui chatoient autour de lui, pluie et langues et feuilles et éclaboussures. Des jets de couleurs sur la peinture.
Personne pour le rassurer, lui indiquer que tout ira pour le mieux malgré deux blondes et trois bruns. Que l’équilibre rompu ne signifie pas la fin des temps et ni même le massacre sans intérêt de leurs carcasses démantibulées.
À cela, le moineau ajoute : Est-ce que… Est-ce qu'il faut qu’on se cache maintenant ?
Les sourcils haussés. Mine patibulaire. Le silence en réponse. Le silence entrecoupé par les respirations saccadées des autres. De lui-même. Étrangeté qui le stoppe net dans ses réflexions. Pourquoi respire-t-il encore pourquoi respire-t-il tout court.
– Est-ce que c’est pas pire si on s’enfonce là-bas ?
Le moineau s’inquiète, panique sans en démontrer les grands signes. Tels que les cris, les tremblements et les gestes saccadés. Elle est seulement là, si proche de lui qu’il peut désormais sentir sa fragrance. Un mélange d’odeurs. Parfum fruité – prédominance d’agrumes, de la fumée et du pétrole, de la sueur et du sang. Du sang.
La face penche et les orbes dégringolent sur ses contours. Il remarque. Le rouge sous le rouge qui suinte, le rouge qui imprègne le fin tissu de son t-shirt sale.
– Tu saignes.
Coup de menton dans la direction de son flanc, la dextre vaguement levée et l’index pointant la crevasse détectée. Naseaux dilatés, il ambitionne découvrir les notes. Le vin qu’il imagine déguster. Elle était la seule à y avoir échappé, jusqu'ici.
Dans son crâne, ça cogne si fort qu’il chavire subitement. La fièvre le dévore, son hémorragie le brise.
Un pas à droite et il se recentre sur la gauche. Tangue et tape son épaule au mur de briques. Balance une énième œillade au groupe devenu un amas de barbaques, de membres, de difformités.
Les paupières battent frénétiquement sur les orbes et le regain d’énergie qu’il avait supputé salvateur est de courte durée. La réalité le défonce aussi durement qu’un coup de poing dans le pif.
L’influence mortifère des connards au loin, il comprend. La zone mise sous scellée, étendue, et ses capacités anéanties pour de bon, comme la flamme bleue d’un briquet. Un souffle et il disparait.
Ne bouge pourtant pas de son coin de bitume.
Réussit à rouvrir les yeux après une dizaine de secondes.
– Ce sera pire si tu restes, articule-t-il enfin.
Parce qu’il entraperçoit au loin les phares des bagnoles qui se mettent en mouvement et qu’il conçoit les derniers rescapés du fléau bientôt ramassés. Fauchés comme les blés. Avec le reste des macchabées. Pas de témoins. Jamais.
Luke pivote, laisse le passage libre, ouvert. Venelle qui les gobera pour les recracher plus loin, plus profondément. Dans les boyaux de la divine cité.
– Il connait le chemin, lui.
Le prédateur gémeau désigné. Qui les guidera. Le moineau, la souris et le clébard.
Luke ne peut plus faire un pas, tient debout par miracle. Esquisse un sourire. Un morceau de badigoinces soulevé, joue piquée de poils et tachée de crasse, creusée.
Une pause, il doit faire une pause. Une pause. Une putain de pause.
Il se tient droit, durcit les muscles. S’empêche de s’effondrer.
Qu’ils traversent et disparaissent, s’enfoncent aux ruelles et s’évaporent avec la fumée du brasier ; elle rampe, tapisse lentement le sol huileux. Efface presque l’horreur, rendant le monde brouillon, incolore. C'est là tout ce qu’il réclamait.

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récapitulatif personnel de la manche
@Carmine Morgenstern @Clayton Myers @Cornelia Weiss  @Judith Vanzetti

Bon gré, mal gré, vous finissez par atteindre la ruelle, dans un état plutôt inquiétant. Couverts de sang, fatigués, blessés aussi, à l'article de la mort, même, pour certains. Ceci dit, vous parvenez à vous enfoncez plus loin dans ce dédale, en tirant avec vous votre compagnon d'infortune inconscient.
Allez savoir comment, mais les quelques encouragements de Clayton suffisent à vous donner à tous le petit plus qu'il vous faut pour que la progression aille plus vite. C'est peut-être l'idée qu'il y aura un rayon de soleil après ces ténèbres. L'idée d'un verre. Ou juste l'éveil d'une envie de vivre d'autres choses et de ne pas finir bêtement morts dans une ruelle merdique de la main de fous dangereux dont vous ne connaissez rien et que vous ne comprenez pas. Il n'empêche que ce petit plus qui vous manquait, c'est indubitablement à lui que vous le devez.

Vous vous êtes largement enfoncés dans la ruelle quand les lampes torches des commandos viennent éclairer les lieux. Coup de chance, vous êtes suffisamment loin pour voir les faisceaux arriver et vous mettre à l'abri afin de vous cacher d'eux. Ils ne s'enfoncent pas plus loin, se contentant d'une fouille visuelle à distance.

Vous êtes, un instant, persuadés qu'ils vont faire preuve de zèle, et qu'ils attendent simplement du renfort. Mais depuis votre position, vous pouvez entendre le grésillement d'une radio, et une partie d'un échange.

« Coré à Styx 2. Statut ? » Grésille la voix déformée par le matériel de communication.

« Ici Styx 2. La cellule a été démantelée. Le laboratoire a été incendié et les responsables ne parleront plus. Nous avons en revanche été contraints de nous débarrasser de beaucoup de témoins, selon le protocole. »
« Bien reçu Styx 2. Retour à la ZD ASAP. Terminé. »

Liaison coupée, vous vous attendez à ce que les choses en restent là. Mais non. C'est au tour des deux types présents d'échanger entre eux.

« S'ils avaient décidé de nous déployer autrement on aurait pu aider des gens. »
« Crois-moi, s'ils ne nous ont pas envoyés ailleurs c'est qu'ils avaient parfaitement envie que tout ce bordel arrive. C'est toujours la même chose. Si tu voulais faire des choses bien, dis-toi que tu t'es sacrément planté de voie.»

Les voix s'éloignent, et la ruelle est à nouveau plongée dans le noir. Vous entendez, au loin, les blessés qu'on achève et le bruit des camions qui s'avancent et qu'on charge. Vous devinez que les corps sont balancés à l'intérieur des véhicules. Des lueurs orangées commencent à danser, puis des odeurs de fumées s'ajoutent. Vous comprenez que le commando ne se contente pas de faire disparaître les corps ; ils nettoient aussi la zone par le feu.

Et vous, vous êtes là, miraculés, plus ou moins vivants, à avoir échappé à une purge en bonne et due forme. Les bribes de ce que vous avez pu entendre ne vous aideront probablement pas à dormir dans les jours à venir. Vous ne pouvez que spéculer, tirer des conclusions plus ou moins alambiquées. Mais il est clair que vous en savez déjà trop.

Votre intégrité, à présent, ne sera plus menacée pendant quelque temps. Vous pouvez quitter la ruelle, continuer votre chemin. Un peu plus loin, vous savez qu'il y a une épicerie - probablement saccagée pendant les émeutes, mais dans laquelle vous pourriez faire une halte pour y trouver de quoi soigner certaines de vos plaies, de quoi manger, vous ressourcer. Le commando ne vous poursuivra pas. Mais la soirée est loin d'être terminée, et vous savez que Los Angeles a toujours cette faculté de vous surprendre de la pire des manières.

✶ ✶ ✶

Pelote de haine, tu exècres les flics. De tout ton être, comme si les dizaines de milliers de milliards de cellules de ton corps chantaient à l’unisson ta détestation de l’uniforme et de tout ce qu’il représente. Le racisme, le sexisme, le classisme et toutes les oppressions en « isme » auxquelles tu es trop occupée à survivre pour penser, tout ça n’est rien comparé au pire dont ils sont capables : l’humour.
Aller boire un verre en riant ? Si ta jambe et tes côtes ne te faisaient pas si mal – et si vous n’étiez pas encore susceptibles de vous faire assassiner en une poignée de secondes par un groupe paramilitaire hors de contrôle – tu aurais bondi pour lui arracher la langue à mains nues. En finissant de serrer ton garrot de fortune en grimaçant de douleur, tu t’assures que ton regard croise le sien et lui transmette toute l’étendue des sentiments que tu éprouves pour lui en cet instant précis.
Tu serres les dents métaphoriquement, les vraies sont trop occupées à mordre ta lèvre inférieure presque jusqu’au sang tandis que tu suis le groupe de survivants, puisque vue l’ampleur du massacre c’est bien ce que vous êtes, plus profond dans les entrailles des quartiers sud.

Maintenant assise contre le crépi dégueulasse d’un mur quelques détours plus loin dans la ruelle, finalement tu souffles. Ta jambe est couverte de sang, et l’hémorragie ne semble pas vouloir s’arrêter d’elle-même malgré le nœud au-dessus de ton genou. Tu sais ce qu’il faut faire, mais anticiper la douleur à venir est suffisant pour faire perler au bord de tes yeux quelques larmes supplémentaires. Sur tes joues, elles laissent une traînée à peine brillante sur ta peau salie par la poussière, le sang et les cendres.
Pendant un bref moment, tu tâches de faire reprendre à ta respiration un rythme normal avant d’alpaguer le reste du groupe. « Hey… Est-ce que quelqu’un pourrait… » un sursaut de douleur interrompt ta phrase et tend la peau de ton cou tandis que tu lèves les yeux au ciel un instant, la mâchoire serrée. « Est-ce que quelqu’un pourrait comprimer la plaie, s’il vous plait ? » D’un coup d’œil peu rassuré, tu balaies le panel hétéroclite de tes compagnons d’infortune avant que ton regard ne s’arrête sur ta camarade blonde en cherchant à attraper le sien. Des trois qui sont encore en état de tenir debout, c’est de loin celle qui le fera avec le plus de délicatesse.
Dans l’idéal il faudrait un linge propre, mais la situation actuelle est plutôt putain de loin de l’idéal alors ton foulard déjà maculé de carmin fera l’affaire. Tu as hésité un instant à utiliser ton t-shirt mais il est lui aussi maculé de sang qui en revanche n’est pas le tien.

Lorsqu’enfin une main étrangère appuie sur ta blessure, tu laisses échapper un gémissement de douleur aigu. Seulement, le bruit d’une radio s’allumant plus haut dans la ruelle te fait écarquiller les yeux de surprise, et de nouveau te mordre la lèvre pour te forcer à te rendre silencieuse. Malgré le bruit assourdissant de ton cœur battant directement dans tes tympans, tu parviens à distinguer la plupart de l’échange absolument irréel qui se déroule à quelques mètres de là. Tu balaies à nouveau la maigre assemblée de survivants du regard pour t’assurer que tu n’as pas halluciné cette histoire de laboratoire.
Tu ne sais pas qui sont ces types et à qui ils obéissent, mais ils viennent de passer devant le flic sur ton échelle de la haine. Un long « fuck » siffle entre tes dents en entendant le bruit de leurs bottes s’éloigner. C’est un niveau de lâcheté incroyable que de devenir militaire et de se plaindre de son affectation. Si on veut vraiment aider les gens, on ne choisit pas la voie des armes, on devient médecin ou on s’engage dans une association. Mais là n’est pas la question. Autant, tu pourrais disserter des heures sur ce que tu viens d’entendre, autant tu n’es pas certaine de ne pas faire une septicémie dans les heures à venir. La priorité semble être aux soins, d’autant que tu n’es clairement pas la seule à en nécessiter. « On est vraiment en sale état, faut qu’on trouve de quoi au moins nettoyer les plaies avant de faire quoi que ce soit. »

La ruelle les engloutit et lui s’imagine flirter avec les fantômes, jouir d’une nouvelle compagnie qui ne l’est pas tant ; envie subite de feuler à s’en déchirer les cordes vocales. Sa tête valdingue en arrière quand il voudrait qu’elle parte en avant. Paupières soulevées, pupilles dilatées ; sourit au ciel et crache ses poumons la seconde d’après. Carcasse trainée plus profondément dans le sud. Perceptions clignotent et vacillent et d’une violence inouïe lui reviennent ; irradient sa couenne.
L’influence imposée par les hommes en noir le relâche et le monstre émerge ; ses sensations lui explosent les synapses, lui trouent le cortex. Paupières s’abaissent encore et le silence n’est plus silence et le vortex gueule béante le recrache. Mâchoires contractées, les naseaux se plissent ; rides du front se creusent, tout l’agresse. Les odeurs de la venelle empruntée, des corps qui le frôlent ; de la fumée envahissant serpent monstre marin le quartier tombeau. S’étouffe en renâclant, crache plus qu’il ne tousse.
Lentement, sa silhouette est déposée, rejoint le bitume. Son dos tape contre un mur. Corps laissé là, à proximité d’un autre et d’un autre et d’un autre et- Symphonie de myocardes frappant l’intérieur des cages thoraciques ; fluides se précipitant à travers les veines, léchant les organes qu’il sent sent qu’il sent putain qu’il sent ; voudrait bouffer doit bouffer ; tout dévorer attaquer démantibuler ; se venger, démolir, éradiquer les preuves de ses faiblesses et manquements. Se reconstruire entièrement le corps et s’extraire de ce coin mortel.
Les phalanges dégueulasses de sang se crispent sur le rien au sol et sa faim contamine les êtres qui le frôlent. N’écoute pas les voix des connards lui pulvérisant les tympans n’écoute rien putain de rien ; se concentre sur son bras explosé qui déjà se reforme ; bruits légers de chairs moites ; frottements et claquements ; son épaule se soulève et craque. Le fauve cannibale bouffe sans bruit ceux qui l’entourent ; sans demander sans exiger ; il prend. L’énergie qui les anime, il l’absorbe jusqu’à les faire tanguer s’amenuiser réclamer le repos.  Morphée. Dégrade et grignote le gémeau puis le moineau. Mort mort il est putain de mort ; brèche immense à forme humaine se goinfrant de ceux qui l’ont empêché de succomber.
Carcasse tranquille ; devrait déchirer sucer les substances leur sillonnant les artères ; sait ne pas pouvoir leur ouvrir la chair sans créer la panique sait ne pas savoir leur déchirer la viande sans vouloir les tuer sait le regretter alors - reste sagement assis sur son morceau d’asphalte, le bras reconstruit de moitié.
Bourdonnements dans le crâne, la face tourne et il observe la blonde gémir au-dessus de l’autre blonde gémissant tout autant. Hésite refuse se contient ; ne veut pas servir d’intermédiaire de putain de sauveur à la con de soigneur en miracle ; se rappelle que la blonde gémissante au-dessous de la blonde gémissante a trainé son cadavre sur des mètres. Grince des dents, noblesse de l’âme fait la guerre à son intellect d’enculé séculaire.
Se redresse sans se rappeler ses raisons - ne veut pas y songer. S’approche et agrippe les doigts du moineau, les écarte de la plaie de l’autre. Mollarde, voix d’éboulis : tu vas la sauver.
Et sur sa gueule blafarde, sous les couleurs de leur fabuleuse aventure, une risette de traviole se dessine. Dévoile le blanc des ratiches taché de sang sans que les yeux jamais ne s’illuminent.
– Tu vas sombrer, aussi, il précise. Mais la sauver vaut bien la noyade, n’est-ce pas ?
Et sans qu’elle ne dise oui peut-être va chier ; l’énergie de l’une est extraite et passe et s’enroule au corps de l’autre. La plaie attaquée ; qu’il compresse à la faire juter ; torrent carminé qui lentement s’amenuise. Les débris de l’impact de balle émergent et dégagent de sous la viande modifiée, soignée ; autant que les os malmenés et les cartilages se renforcent et reprennent place et dureté au secret de son buste femelle.
Avant que le moineau ne s’effondre, sa main la tire un peu plus fort. Silhouette récupérée, le crâne qui ne s’explose pas à terre. La chavire contre eux, entre eux. Coince le moineau aux pourtours de la souris que les douleurs ont désertée - mauvais rêve rien qu’un mauvais rêve.  
– Elle va dormir… dormir combien de temps aucune idée. Dormir juste dormir. Elle n’est pas morte et tu n’es pas morte. Dis-lui merci.
Luke se redresse, inspire une grande bouffée d’air vicié. Paume contre le mur, l’équilibre retrouvé et son sang qui continue de suinter sur sa viande déchiquetée. Survivra. Tuera probablement ; à l'abri des regards. Ou pas. Quand le moment sera venu. L’intimité d’un festin déployé devant leurs prunelles usées.
Lance une œillade au flic.
– Ton front pour ses conneries.
Les conneries du prédateur gémeau et ses obsessions qui auraient pu les faire tuer ; qui les auront amochés. Pneuma dévoré et diffusé sans assentiment, liberté propre de connard indifférent. Choisit, punit. Bourreau de Sud qui ne tue ni ne torture ; sauve des vies à se foutre la gerbe. De l’un à l’autre, contact absent ; l’atmosphère et sa seule présence en faisceau du prodige. La blessure du flic cicatrise et l’obsessionnel bat des paupières et montre quenottes, alors il dit : je me suis moi-même déjà servi.
Haussement d’épaules. Trop tard pour chialer outragé bafoué ; dextre levée et mouvement vague.
– Juste retour des choses. J’envisageais te broyer l’épaule, avant.
Son épaule explosée par sa faute ; œil pour œil, dent pour dent. Promesse en revanche abandonnée. Un soupir pour étrangler sa perte.
– Et maintenant ?

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