Grave Encounters (( Beau ))

Grave Encounters Coimetrophilia | @Beau Saint-Loup

Eté 2033

Nuit profonde. Ciel noir de jais, les étoiles servant de petits repères dans le ciel. Faible luminosité des astres se frayant un chemin jusqu'à la grande dame du ciel. Errance nocturne, l’insomnie présente, épuisante. Douleur dans l’épaule toujours présente. C’est qu’il n’a pas pris grand soin de cette dernière, prenant cependant grand soin d’esquiver sa fille telle une anguille afin de ne pas recevoir le hurlement d’inquiétude et le châtiment d’un daronnage de la part de sa jeune descendante. Les premiers soins offerts à cette épaule meurtrie sans plus de connaissance de ce qui l’a blessé ainsi que des conséquences d’une telle blessure. Faiblesse, état fébrile du corps comme de l’esprit. Le besoin de se retrouver seul. Los Angeles ne dort jamais vraiment. Aussi évite-t-il soigneusement les grands axes, les grandes rues, les lieux trop fréquentés. Ne pas croiser de regards connus - ou même inconnus qui pourraient se poser bien trop de questions et venir poser bien trop de questions. Les portes du cimetières, une pensée à Papa-Toussaint. Lui, il devrait adorer faire un tour dans un cimetière, de nuit. Les portes sont fermées, sans nul doute que l’accès y est interdit de nuit. Depuis quand un accès interdit t’empêche de faire ta petite vie ? Ce n’est pas entièrement faux. Lui qui passe sa vie à défier l’interdit. Le hors la loi qui tenterait de la respecter ? Ridicule. Et pourtant, ce n’est pas l’appel divin soudain de respecter la loi qui le pousse à rester à l’extérieur, contre le muret, à simplement attendre que l’envie de rester dehors lui passe. C’est le respect profond pour les défunts et leurs mémoires. Lui-même ayant dû faire le deuil d’une personne chère à sa vie il y a de cela un bon moment déjà, Valery a un profond respect pour l’au-delà. Et pourtant. Et pourtant l’appétit d’un moment dans le silence à la fois lourd et reposant d’une allée de tombes est tentant. Ne pas forcer le portail, jamais. Un vieux cimetière, le tout petit, celui qui n’a pas encore été transplanté dans la géante tour du Heaven Garden, celui à l’allure d’un humble petit caveau familial. Un petit bout de terre encore purement humain, pas encore touché par la nécessité de gagner toujours plus de place. Légèrement laissé à l’abandon, le grillage offre, dans un recoin, une petite entrée. Personne ne fera attention. Personne ne saura qu’il y est passé une heure ou deux.

La sensation démange, le regard suit le trou dans le grillage. Le souffle de lassitude s’échappe de ses lèvres alors qu’il se redresse. Main dans la poche afin de détendre l’épaule. Le pas lent, donner l’impression de tout et de rien à la fois. Un pas dans un sens indéterminé pendant que le regard se focalise sur le cimetière lui-même, le mini dédale de petites tombes mousseuses.

Grave Encounters Coimetrophilia | @"Libre Libre"

Eté 2033

Dans le creux de la poche, une vieille pièce, probablement un franc d’or, aux rebords tellement usés qu’ils en deviennent lisses, émoussés par le passage pensif de la pulpe d’un doigt sur les crénelures. Le métal tiède s’est mis à la température de la main qui l’enveloppe, le berce comme un œuf couvé, doublure de chair et de tissu autour de l’or ancien. Il est comme un petit animal familier qui ne quittait jamais les fronces du gué Loraj, joueur comme on en fait plus, comme tant de Loas. Pile, face, qu’importait, le grand brun gagnait toujours, puisque que le prix qu’il visait était rarement le butin d’un pari. Il y avait tout ce qu’il y avait autour qui l’intéressait bien plus. Beau jouait avec la pièce, alors qu’il se penchait pour éviter les branches basses d’un arbre séculaire, la pointe de ses chaussures foulant la terre meuble d’une tombe fraichement comblée. Là, il savait qu’une missive l’attendait, Sympathy d’un pauvre diable qui aurait vendu sa mère pour un peu de came ou quelques minutes de paradis artificiel dont le Loas avait le secret. Un prêt pour un rendu, ou plutôt, un joli secret plus si bien gardé, maintenant qu’il mettait la main dessus. Il lui suffisait de gratter un peu de terre pour trouver le papier, sans que personne ne s’émeuve de cet émolument nocturne.
Le Loas balayait le cimetière du regard à intervalle régulier, scrutant les ténèbres à la recherche d’âme qui vivait, dès lors que les autres ne l’inquiétaient pas plus que cela. Le cimetière était un lieu de rencontre pour quelques Kids en mal de sensations fortes, mais aussi pour une poignée de SDF qui, de guerre lasse avec la vie en communauté, se résignaient à se servir de la dernière demeure d’un inconnu pour la faire leur, le temps d’une nuit. Or, il n’aimait pas être pris au dépourvu, Beau, c’était même l’une des choses qu’il exécrait le plus. Alors ce fut presque avec satisfaction, pour ne pas dire soulagement, qu’il remarqua une silhouette au loin, d’abord obscur, puis de plus en plus familière. Dans la posture, dans les pas lents, mesurés, malgré un visage tourné vers le ciel, dont les étoiles font grises mines dans la pollution lumineuse de la ville. Depuis quand Sirius et autres étoiles primaires avaient elles été effacées par leurs consœurs artificielles, sous ces latitudes ? La question se posait. Toujours était il que Beau se tenait un peu en retrait, à quelques mètres à présent de Valéry, quand il s’autorisa à l’interpeler, suffisamment fort pour ne pas le prendre trop à défaut.

- Cherches tu une étoile filante à qui adresser tes vœux, Sandman ? Tu sais qu’il y a des interlocuteurs plus … Accessibles pour répondre à tes besoins pourtant, sauf à ce qu’ils soient moins avouables encore qu’à l’ordinaire ?

Il le salue en ôta son couvre chef imaginaire, sautant d’un bout de trottoir humide à l’autre pour se mettre à la lumière à son tour. Pas besoin de se cacher, Valery et lui se connaissaient depuis suffisamment longtemps pour que l’anonymat ne soit qu’une farce. Et entre maitres d’illusions, les sortilèges ne duraient guère que le temps du jeu.

- Perdu, ou le contraire ?

Grave Encounters Coimetrophilia | @Beau Saint-Loup

Eté 2033

Valery fait complètement abstraction des étoiles. Ce qui est rare le connaissant. Lui qui a toujours eu un certain attrait pour les astres. Une ombre dans le dos. Une présence que le cinquantenaire peine à sentir. A voir venir. Sa voix s'élèvent si au début elle lui offre un léger sursaut à peine perceptible, il reconnaît rapidement qui vient le déranger dans son envie d'aller traîner dans le vieux cimetière. Une étoile filante pour adresser un vœux. L'image prête un sourire sur sa sale face de rat. Des interlocuteurs plus accessibles à moins que les besoins soient moins avouables. Un sourcil arqué, le sourire pernicieux toujours sur la trogne, le demi tour droite de mise afin de lui faire complètement face. “Tu te proposes en interlocuteur plus accessible, Loraj ?” Utilisation des surnoms par respect mutuel. Ou par habitude. A force, on ne sait plus trop. Un salut digne d'un gentleman d'une autre époque. Salut rendu d'un geste simple de la tête. Il saute sous ses yeux, apparaissant à son tour à la lueur du réverbère quelque peu tordu. Nul besoin de dissimulation entre eux. Ce serait un manque cruel de considération.

Ils se connaissent depuis assez longtemps pour ne pas s'encombrer de tels artifices. Perdu ou bien le contraire. Lueur malicieuse au creux des iris tirés des quelques pattes d'oies discrètes. “Curieux, ou le contraire ?” Petit jeu foutrement innocent entre le marchand de sommeil et l'informateur du Baron. “Il en faut plus pour que je me perde jeune homme. Mais je remercie ta considération.” Il est vrai qu'à son âge, certains perdent déjà les pédales ainsi que le fil de la réalité les entourant. Sombre dessein qu'une visite illégale dans un lieu de repos éternel. Vieux cimetière ayant encore une vieille tombe qu'il apprécie parfois venir visiter. Vestige d'une époque où sa famille était complète. Avant l'irruption soudaine de son grain de sable. Bien avant. “Je trouve les cimetières reposant. A leur manière. Mais travaillant pour le Chapelier, tu dois en connaître un rayon, sur le repos éternel.”

Grave Encounters Coimetrophilia | @Valery Covington

Eté 2033

Beau observait Valery du coin de l’œil, à demi dissimulé derrière l’ombre du vieux réverbère penché. Il avait vu cet homme s’immobiliser sous la pâle lueur des étoiles, mais il était bien conscient qu’elles avaient cessé d’exister pour lui, au moins pour cette nuit. Ce Valery, fasciné depuis toujours par la danse des astres, n’était pas du genre à ignorer ainsi la voûte céleste. Pourtant, ce soir, son attention était ailleurs, comme absorbée par quelque chose de plus lourd, de plus proche, quelque chose d’assez opaque pour voiler même la lueur d’une étoile filante. Il ne connaissait pas la teneur des états d’âme de celui qu’il aurait pu presque, presque, appeler un Ami si il pouvait se permettre le luxe de qualifier leur relation, mais il savait en revanche que les étoiles étaient des interlocutrices ingrates : des oreilles attentives, mais sourdes aux appels aux conseils et inspirations, luisant en silence dans la nuit.
Le sourire de Beau se dessina, fin et taquin, sur son visage lorsqu’il s’avança d’un pas, juste assez pour faire frémir Valery. Pas d’un sursaut franc, non, juste un léger frisson qui lui traverserait la nuque. Il y avait là de quoi se réjouir, bien sûr, pour un esprit joueur comme celui de Beau, conscient que sa propre aisance avec la proximité physique était rarement partagée par les hommes de son entourage. Beau prenait un malin plaisir à se glisser dans ses arrières sans un bruit, à chaque rencontre, curieux de savoir qui de lui ou de Sandman serait le plus discret, ou le plus clairvoyant. Lorsqu’il entendit la voix de Valery s’élever, Beau savait qu’il avait été reconnu ; les marques de familiarité ne mentaient pas, Valery n’était pas homme à s’effaroucher. Et Beau, lui, se contenta de lui offrir un sourire aussi narquois qu’aimable, un sourcil levé. Il savait, malgré tout, que l’autre appréciait sa venue, ou en tout cas la tolérait, car entre eux deux, pas besoin de grands discours, ni de justifications. On était là, voilà tout.

- Dépends du vœu, dépend des attentes. Tente ta chance, si tu y crois.  lança Beau d’un ton badin, les mains dans les poches, feignant l’indifférence. Valery avait ce petit sourire en coin, celui qu’il ne réservait qu’à ceux qui le connaissaient assez pour savoir le voir. Ce soir, pourtant, il y avait autre chose, une note de mélancolie peut-être, un soupçon de tristesse dissimulée derrière la façade de Valery. Beau ne savait pas pourquoi il s’égarait dans le vieux cimetière, mais il pariait sur la visite d’une tombe antique, celle d’un passé enfoui, d’un temps où Valery n’était pas cet homme seul qui hantait les pierres tombales.

- Curieux toujours, sinon à quoi bon vivre ? Je laisse l’indifférence aux propriétaires de ces lieux fit Beau, un brin moqueur, mais toujours avec cette pointe d’amusement bienveillant qui avait fini par se tailler sa place dans leurs conversations.

Valery s'était redressé, son sourire s’était fait plus fin, moins provocateur. Tu te poses en guide, gamin ? Faudrait plus que ça pour me perdre. Voilà comment le Loas avait compris la rétorque : elle se  voulait légère, mais Beau y perçut cette note sombre, cette nuance qu’un autre n’aurait peut-être pas décelée. Pour Valery, le cimetière n’était pas qu’un lieu de passage ; c’était une escale, une halte imposée par le poids des souvenirs…. Des regrets ? Ah, décidement, cela l’intriguait. Beau en connaissait assez pour deviner que ces silences valaient plus que les échanges légers qu’ils se lançaient comme des balles. Sous la lumière vacillante, ils restèrent là, une ombre parmi d’autres, ni tout à fait morts, ni tout à fait vivants, unis par un mutisme que seule la présence d’un tiers aurait pu rompre, avant que le mutant ne reprenne d’une voix douce, que son don infusait de cette langueur qui vous étreint le coeur et le cajole sans même qu’il ait besoin d’y prêter attention.

- Disons qu’à cette heure-ci, il a la qualité d’être silencieux pour les oreilles profanes… J’imagine que ma Reine ne serait pas de cet avis. Quant au repos éternel ah … je suis un impie pour qui ce bon vieux Jésus est mort en vain, je n’y croie et nie croix … Et je te dirais qu’à titre personnel, un repos paisible et sans fin me paraît être une angoisse ineffable … * un nouveau petit soupir amusé, et il reprit* je préfère la réincarnation. C’est mon coté joueur. Et toi ?

Grave Encounters Coimetrophilia | @Beau Saint-Loup

Eté 2033

Tout dépend du vœu formulé. Tout dépend des attentes. Tenter sa chance. Ton badin trouve sourire amusé en écho de réponse. Toujours curiosité en première ligne. Sinon à quoi bon vivre. Bonne mentalité. Mentalité qui se défend au yeux de mi-cinquantenaire. Indifférence laissée aux propriétaires des diverses tombes arpentées. Brin moqueur, nullement dérangeant. Ils se connaissent. Ils savent jusqu’où aller sans froisser l’autre. Proposition en guide. Proposition sans fondement, nullement sérieuse. A ses yeux, Covington n’a pas besoin d’un quelconque guide. Arrogance de croire pouvoir régler la plupart de ses histoires, problèmes, seul. Control freak l’on pourrait dire du vieux Marchand de Sable. Ce ne serait pas entièrement faux. Besoin constant de savoir ce qu’il fait, avec qui il le fait. Besoin quasi viscéral de savoir ce dans quoi il s’engage, d’avoir un contrôle sur ses propres actions, sur ses propres émotions. Halte imposée par un début de curiosité puis par le besoin. Le besoin de revoir cette tombe en particulier. Celle du géniteur, partit trop tôt. Il lui en a voulu, d’être parti, de les avoir abandonnés, lui et sa mère. Mais parce qu’il était encore jeune. Maintenant, il a pleinement conscience que la Mort est la fin en soi de toute Vie. Douloureuse vérité devant coexister quoi qu’il arrive avec le magnifique mensonge. Approche, quelques pas le sépare de Saint-Loup. A cette heure-ci, la qualité de silence est appréciable pour les profanes. Vient-il justement de l’insulter ? Non. Mais d'énoncer une simple vérité. Valery n’est pas touché de la grâce divine d’une quelconque exposition à un quelconque bout de pierre le rendant plus qu’humain. Il se contente parfaitement de sa condition. Faible. Fragile. Mortelle. Et pourtant puissante, effrayante et mortelle. Imagination que sa Reine, la Patronne, ne serait pas de cet avis là. Repos éternel n’entre pas dans la croyance de Saint-Loup. Ni celle de Covington. Deux impies présents en ce lieux de repos. Jesus mort en vain. “Pour être mort en vain, il faudrait qu’il vive.” Le doute est permis, le doute est présent. Jamais ne tiendrait-il ce genre de propos face à un croyant. Savoir quand se permettre ces élucubrations athées est un jeu fascinant. A titre personnel, il préfère la réincarnation. Côté joueur.

“Côté joueur compréhensible.” Qu’il commente dans le ton le plus doux, le plus confident qu’il puisse prendre par cette nuit spéciale. Et lui, il en pense quoi de la réincarnation. “Oh pitié. Non. Si je devais revivre une nouvelle fois ce serait plus qu’un calvaire.” Ne croit-il donc pas à la réincarnation. Nullement. Il ne préfère pas envisager la possibilité que ceci ne soit pas sa première vie. L’angoisse serait inévitablement au rendez-vous. “Je préfère encore embrassé la finalité globale d’une vie bien remplie.” Ou la folie de croire aux fantômes. Peut-être y a-t-il une vie après la mort, sous forme éthérée. Il n’y croit pas plus que cela. Valery a voulu y croire. Au décès de son père, il a voulu y croire, aux fantômes, à l'ésotérisme, aux manifestations. Mais non. Rien. Quechi. Walou. Nada. Peau d’zeub. Le regard se perd, une fraction de secondes, sur une vieille tombe en particulier. Un nom inscrit dessus. Rosenwald. Celle de son géniteur. Une des rares tombes n’ayant pas encore été transférée dans la grande tour. Refus catégorique de sa mère, elle aime le côté authentique d’une vieille tombe rongée par la mousse aux fleurs fanées en guise de décoration. “Et que te dis ton côté joueur ce soir ?”