⛧Abrenuntias satanae ?

⛧ Abrenuntias satanae ? @Poppy Lowe & @John Hunnigan

«  Tu voulais juste… toucher, encore. » Il reprend, avec quelque chose de féroce et d’accusateur qu’il n’arrivait même pas à tempérer. Pourquoi il fallait toujours qu’elle n’en fasse qu’à sa tête ? Et pourquoi il fallait toujours qu’elle soit déraisonnable et qu’elle fasse tout pour se mettre en danger ? À lui filer des angoisses pas possibles, qui lui vrillent le bide et lui donnent tous les quatre matins l’impression que le monde se dérobe une fois encore ses pompes ?

Pourquoi il crie ? Parce qu’elle n’écoute pas ce qu’il lui dit. Et que ça pédale dans sa tête, et que ça s’emballe là-haut et que ça cogne derrière ses côtes. Il sait que c’est déraisonnable, que c’est la pomme.

Et à la fois…

« Tu refuses de m’écouter et tu ne me donnes  pas cette saloperie de pomme, voilà pourquoi. »

Et pourquoi il la regarde comme ça ?

« Parce que je vais te faire du mal, Poppy. »

S’il n’obtenait pas ce qu’elle voulait. Et si ça n’était qu’une tentative d’émettre la simple et vraie vérité, parce qu’il savait ce que cette horreur était capable d’engendrer; le ton lui, ressemblait à une menace.
Et sans doute qu’il aurait pu s’en rendre compte, Hunnigan s’il n’y avait pas eut des tonnes de questions. Des pourquoi. Trop de pourquoi. Et pour une fois, il en avait assez. Par-dessus la tête de cette candeur. Mare de devoir toujours tout explique. Plus qu’assez de son don à toujours complexifier les choses. Comme si elle mettait un point d’honneur constant à faire dérailler tout ce qu’ils planifiaient.

« Personne t’a mis un flingue sur la tempe pour que tu viennes avec moi rencontrer Lapeste. »

Ce sale petit rat de Papa Lapeste, totalement disparu des radars. Perdu dans les limbes. Aux abonnés absents. À lui aussi, il souhaitait toucher deux mots. Il lui ferait bien manger ses phalanges. Pourquoi pas l’étrangler. Et pourquoi ne pas l’étrangler, elle aussi,, dictait ses pensées les plus dingues qui carburait dans un n’importe quoi ambiant entre ses tempes.
Il avait chaud. Son palpitant pulsait d’une colère qui n’était pas vraiment la sienne.

« Pourquoi tu veux toujours tout compliquer ? Donne-moi cette pomme.»

De nouveau, il s’était approché avec la ferme intention de la lui arracher des mains, avec une hargne improbable et presque du désespoir dans le geste. Parce qu’il savait mieux qu’elle ce dont il était capable. Et qu’il savait que ce satané fruit était le cœur de leur problème actuel. Que la dorure et la rondeur dodue de cette sphère fruitée s’immisçaient dans les failles pour en tirer un jus abject. Celui de la haine.

Or plus il y a de faille, plus il est facile de céder. La culpabilité pour lui. La peur de faire des dégâts aussi. L’empressement de vouloir se débarrasser de la pomme maudite était en soit aussi un moyen de souffler sur les braises d’un conflit qui n’avait pas lieu d’être.
Et quelques mots de plus l’amènent à renoncer à sa tentative, en coulant sur elle un regard un peu plus circonspect. Est-ce qu’il laissait qui que ce soit gagné ?  

« Je ne sais pas qui tu m’accuses de laisser gagner, Poppy. » Il avait reculé d’un pas, et d’un autre, comme s’il espérait que s’éloigner de là suffirait à atténuer les effets de la pomme. « Mais si tu ne détruis pas cette putain de pomme de la discorde, c’est nous qui allons perdre. Définitivement. »  

Elle s’emmêle. Dans les lignes, les paroles, les périodes. Elle s’emmêle. L’instinct détraqué par ses peurs qui prolifèrent et son regard assassin, à lui, qui ne la quitte pas. Ce regard qui se mélange à un autre - le regard du père qui écrase. Mais John n’est pas ça. John comme un baume à son existence en morceaux.
Les mirettes se gorgent d’eau et ça dégouline de partout. Le nez qui se bouche et les reniflements qui s’ajoutent.
La pomme reste nichée contre son corps, quand celui de l’homme en face d’elle est craint.
– Pourquoi tu veux toujours tout compliquer ? Donne-moi cette pomme.
Elle ne peut pas, la lui donner. Non, elle ne peut pas. Déraison qui la pousse à la préserver, la protéger ; cette saloperie de pomme dont elle se fout.
Elle ne complique pas tout, elle exacerbe les trajectoires.
Elle ne complique pas tout, il n’entend pas ses complaintes.
Ses conseils et ses manques et ses joies.
Ou peut-être que si. Ou peut-être qu’il ne fait que ça.
Poppy n’entraperçoit plus rien, paumée au milieu du brouillard que devient le monde. Qu’ils deviennent tous les deux.
Son corps revient à son corps. Et elle s’échappe aussitôt. Esquive ses mouvements avec une adresse qu’elle ne se connait pas. Devient quasiment fantôme dans sa robe spectrale. Devient liquide, devient vaporeuse - devient ce qu’elle espère ne jamais devenir. Quelque chose qui n’a plus d’emprise sur ce qui l’entoure, quelque chose qui n’existe plus que dans les songes lointains. Ceux dont on oublie l’existence au fil des ans.
Te souviendras-tu de moi, quand je n’existerai plus ?
Museau relevé, crinière voltige dans un vent devenu glacial. Observe son Miracle. Ne le quitte pas des pupilles. Pupilles tellement dilatées qu’elles sont des éclipses.
À nouveau, les angoisses lui serpentent dans la poitrine, lui mordillent le cœur et lui arrachent lentement des bouts. Il a pourtant juré que ça n’arriverait jamais ; pas d’elle sans lui et pas de lui sans elle ; mais les gens mentent les gens mentent mentent les gens mentent tout le temps. Les gens ne font que ça, mentir.
–  Je ne sais pas qui tu m’accuses de laisser gagner, Poppy.  
– Eux.
Qui ça, eux.
Eux tous, là dehors. Autour d’eux et en eux.
En lui surtout. En elle sans doute.
Ses démons logés dans son crâne, ceux qu’elle ne peut pas atteindre ; ce dont il ne parle pas et qui dessinent ces cernes gigantesques et profonds sous cils.
Ne l’écoute plus, s’éloigne d’elle. S’éloigne d’eux ?
Les gens mentent mentent les gens mentent tout le temps souviens-toi.
– Mais si tu ne détruis pas cette putain de pomme de la discorde, c’est nous qui allons perdre. Définitivement.
– … quoi ?
Minois penche de côté et le vent doucement retombe.
Poppy reprend forme, Poppy n’est plus tout à fait Poppy. Créature éthérée qu’elle est et qu’elle rejette ; qu’elle sera jusqu’à l’éternité. Qu’elle persiste. Substance déliquescente  tant qu’elle n’a plus accès à ses bras. John vers lequel elle revient. La distance qu’il a créée, qu’elle dévore immédiatement.
La discorde en elle. Dame Discorde qu’elle ressent enfin, et son rire hystérique cogne brutalement à ses tempes. Du silence alentours, un vacarme en dedans ; et la pomme qui brutalement lui crame les doigts.
Poppy relâche le fruit doré.
La paume de sa main à vif, ouverte sur le vide. Elle en contemple les boursoufflures, les cloques naissantes. Tire la grimace, pressent la douleur en vagues. Dans ses oreilles assourdies, le rire devient musique. Le rire devient un chant de sirène et le chant de sirène l’appelle.
Ses billes arc-en-ciel chutent à ses pieds, s’égarent de nouveau sur le lisse et doux du fruit qui n’est plus doré mais seulement rouge. Un rouge tendre, un rouge d’animal blessé.
Se penche à peine, se fige tout aussi vite. La respiration saccadée. Ses deux menottes qu’elle soulève, qu’elle empêche de toucher.
Son visage qu’elle cache derrière. Doigts contractés sur ses traits, voudrait s’arracher la figure.
– John, gémit-elle. John, appelle-t-elle.
Sa voix comme un murmure. Basse si basse, pour ne pas réveiller, pour ne pas déranger. Pour se faire oublier. Sa voix comme un souffle. Basse si basse, pour ne pas alarmer, pour ne pas agacer.
– John, c’est en moi.
Le poison distillé, n’y échappera pas.
– Même si…
Même si quoi.
Poppy s’étrangle, déglutition difficile et la migraine comme des torrents de lave.
– Laissez-moi sortir, miaule-t-elle.
La sylphide se recroqueville au sol. Paumes sur les oreilles. Elle appuie. Appuie très fort, comme une enfant que le monde agresse. Appuie et répète et exige pour qu’on la relâche ; répète plus fort. Hurle pour ne plus entendre la mélodie lui taillader la cervelle. Elle hurle et le décor de leurs psychés entortillées se met à trembler, à craquer ; la moindre parcelle de sol ou de ciel se fissure.

⛧ Abrenuntias satanae ? @Poppy Lowe & @John Hunnigan

Les larmes ne l’émeuvent pas, elles l’agacent et c’est parfaitement anormal. Celles des autres le lassent en règle générale, le désintéressent au possible. Celle de Poppy, en revanche, ont toujours été ce genre de sève dont il se serait bien passé. Les rares gouttes capables de venir menacer de faire déborder un peu plus le vase de sa culpabilité. Et c’est bien ce qui l’effraie actuellement. Qu’elle puisse chialer toutes les larmes de son corps sans qu’il n’ait autre chose à lui rendre qu’une grimace pétrie de dédain.
Sur l’instant, c’est la colère et la frustration qui parle. C’est le jus de cette foutu pomme à la con qui lui remplit les veines et l’infecte. Ce qu’il sait en revanche, c’est ce que ça lui fera si les choses vont plus encore.

« Eux, ils ne gagneront rien du tout. »

Qu’il crache, en bataillant contre sa propre hargne qui lui hurle d’aller lui arracher cette pomme des mains, d’attraper son sale petit cou jusqu’à lui faire gonfler les yeux et toutes ces petites choses qui justement parviennent encore à l’empêcher de céder à la colère qui ne fait que croître. Il en tremble, Hunnigan. L’horreur des pensées glace le peu de raison qui lui reste encore. Donne-lui une vraie raison de chialer, qu’il s’entend penser.

« Poppy écoute moi… » Je t’en supplie ajoute la raison. «… arrête tes conneries. Et donne moi… cette saloperie… de pomme. »

Il se voit la tuer pour obtenir ce qu’il veut. Une dernière leçon. Et pourtant il se voit aussi capable de résister encore un peu, et de compter sur un miracle comme seul en tisse sans le savoir. Un sourire pour gommer sa colère. Une bêtise pour transformer la rage en fou rire.
Mais non. Rien de tout ça. Elle serre le fruit contre elle, comme un trésor qu’elle refuserait de donner et elle l’oblige à amorcer un pas vers elle.

Cette fois, il la tuera.

Et le miracle a pourtant lieu. Elle vrille, il le sait parce qu’il la connait. Et la pomme quitte ses doigts et roule entre eux et John tombe à genou. à moitié parce que le fruit éveille des pulsions stupides d’avidité risible. L’autre moitié, elle lui vient de son corps entier qui lâche de soulagement lorsqu’il comprend qu’elle a fini par céder. Alors, il rampe vers le fruit, en oublie la brune et sa colère se dirige comme cette immondice autrefois dorée, maintenant rouge, qu’il attrape et finit par lancer dans l’océan de nuage derrière eux en hurlant de rage et d’une victoire inespérée contre ses plus affreux instincts.

Il ne tuera pas Poppy et c’est probablement la seule chose positive à laquelle il se cramponne.
Retrouver la force de se remettre sur ses cannes lui est impossible, alors c’est stupidement à genou qu’il s’approche d’elle pour essayer de porter sa main à son corps qu’il n’ose même pas toucher. Drôle d’idée, de se sentir aussi indigne simplement parce qu’on a pensé à des choses qu’il allait avoir du mal à avouer. Il sait que c’est la pomme. Mais la pomme n’est forte que parce qu’elle utilise la noirceur de l’âme.

« Reprends toi. »

Plus de rage dans la voix. Sa main s’est autorisé à l’attraper cette fois, juste pour la tirer vers lui, à venir cramponner ses épaules et coller son visage contre son torse pour lui offrir un soutien dans son déraillage du moment, et surtout pour sentir ce qu’il avait été à deux doigts de briser. Le monde peut bien partir en lambeau autour d’eux, il s’en fiche pas mal.

Des pans entier de leur réalité s’arrachent. les arbres se fendent, sont balayés comme s’ils n’étaient que de la cendre. L’herbe s’efface. il s’imagine qu’ils tomberont dans le vide, sous peu. Il a l’impression qu’ils sont chahutés dans tous les sens, mais que quelque chose les guides. Vegvisir les ramène sur le chemin de la raison. Ironiquement, en faisant perdre à Poppy la sienne, de raison.

La tête lui tourne dans le néant noir absolu qui les entoure et quand les couleurs reviennent, il peine à comprendre ce qui se trame. Les revoilà sur terre, ou presque.
Ils sont dans une salle qu’ils connaissent plus ou moins bien. Il a Poppy dans ses bras, toujours, mais une autre Poppy est là, affalée sur la table à côté d’un autre lui qui bave le front contre une table.

En face, ce sale bâtard de Papa Lapeste bouge. John a besoin d’une petite seconde pour comprendre que le Sorcier ne bouge pas de son propre chef mais qu’il convulse, vautrée sur sa chaise, la tête en arrière, les yeux grands ouverts vers le plafond, l’écume à la lèvre, à chialer du sang en se noyant dans sa propre bave.

« Poppy… comment on regagne nos corps ? »

Parce que c’est elle qui les a conduits ici, n’est-ce pas ? Loin de Bâal, de la Pomme, du cercueil et des chansons.