En égrenant le temps. (Ft Will)

Un lourd soupir se forme dans ta poitrine, sans que tu ne lui laisses le droit de s’échapper, alors que les minutes, elles, s’écoulent sans que tu n’ais d’emprise sur elles… C’est le résumé de tes journées depuis quelques semaines, mois peut-être. En tout cas, Theo, tu as cette sensation insidieuse que le temps t’échappe et te rapproche de quelque chose de… grave. En tout cas vers quelque chose qui va te percuter de plein fouet sans que tu n’ais le choix. Et si tu n’es pas une magnat du contrôle, disons que tu n’aimes pas non plus foncer dans l’inconnu la tête baissée.

Étouffant cette pensée au fond de toi, tes yeux cillent sur ton agenda de rendez-vous, alors que tu constates pour la cinquième fois que tu n’as presque aucun créneau de libre. Tu as toujours fait en sorte d’accepter tous les nouveaux patients qui cherchent ton aide, sans hésitation, mais force est de constater que tu ne pourras plus le faire encore autant si la demande augmente à ce point. Et au delà de devoir refuser des gens, ce qui t’inquiète le plus est de ne pas savoir si le nombre de patient augmente à cause de ta réputation, ou parce que la société va plus mal. Parce que c’est un fait, au final : la société va plus mal, et depuis que ton nom a été cité dans un article, tu sais que ta réputation s’est étendue.

Tu barres le nom de ton patient précédent lentement en chassant ces pensées. Ta journée a été faite d’écoute et de ces moments dérangeants où tu te fais happer par tes pensées pas très lumineuses. Le soleil commence à descendre sur l’horizon et alors que dans ta tête tu envisages de rentrer dès maintenant, laissant la paperasse de côté, tu captes le nom inscrit sur le créneau d’urgence qui débute dans quelques minutes. Crayon de papier car plus susceptible d’annuler, double point d’interrogation pour signifier que tu ne connais pas la bonne orthographe, il s’agit de ta dernière demande de prise en charge, que tu as calé là parce que quelque chose dans la voix de l’homme t’a fait sentir qu’il ne fallait pas trainer.

Avec un courage certain, tu viens ravaler tes émotions en toi. Tu prends les trois minutes qu’il reste pour faire un exercice de respiration, permettant à ton âme de s’apaiser, et influençant de manière visible ton corps enfermé dans une de tes tenues d’été du moment : un haut blanc bouffant, manche courte, et un pantalon dont l’élastique enserre ta taille, dont le tissu beige et fluide noie tes jambes donnant presque une sensation de jupe longue. Une paire de mocassin noir pour compléter le tout, cheveux relâché autour de ton visage légèrement maquillé, doux et lumineux bien qu’on note quand même quelques marques de fatigue autour de tes yeux. Dessous les vêtements, tes épaules s’abaissent, tes muscles se dénouent et quand tu te remets debout, tes mouvements sont souples et presque dansants.

C’est sans aucune hésitation que tu vas à la porte qui s’épare la très grande pièce qui te serre à recevoir tes patients et la petite salle d’attente cosy, pourvue de fauteuil de salon marron chaud et d’une fenêtre qui éclaire doucement la pièce. Tu ouvres en inscrivant sur ton visage un sourire doux. À cet instant, tu représentes certainement la protection et la sécurité que tu tiens à offrir à tous ceux qui viennent te voir. Tes yeux fouillent la pièce et tu finis par croiser des yeux sombres. Tu ne cilles pas, ne cherches même pas à fouiller son visage ou relever sa tenue ou son allure globale. Tout ce que tu fais, c’est lui offrir un regard transperçant de sincérité et étirer un peu plus les lèvres :

« Bonjour, je suis le Dr Kyros, mais vous pouvez m’appeler directement Theo, si vous préférez. Je vous en prie, vous pouvez entrer. »

Tu recules d’un pas, t’effacés de la porte pour lui faire signe du bras d’entrer avec toi dans la grande pièce inondée des lumières rougeâtres du soleil couchant, grâce aux grandes baies vitrées. Comme à ton habitude, tu refermes derrière lui mais tu ne lui indiques pas immédiatement où aller. Tu le laisses avancer, regarder, fouiner, questionner : s’approprier l’endroit. Toi, tu vas t’installer dans l’un des deux fauteuils en cuir, pas très loin d’une des baies vitrées, et tu croises les jambes, mains posée sur tes genoux, un bloc et un crayon posé sur une table de chevet à côté.

« J’espère que vous n’avez pas eu trop de difficulté à trouver le cabinet ? Tu lui offres une seconde de pause avant de continuer. Je me souviens que vous avez été assez flou quand vous m’avez téléphoné. Je vous propose de débuter cette première séance de rencontrer en prenant le temps que vous m’expliquez ce que je peux faire pour vous aider ? Je vous expliquerai ensuite comme moi je vais fonctionner… Et vous pourrez voir si cela vous semble ok ? »

Tu termines de parler, pour poser tes yeux noisettes dans les siens pendant quelques secondes, sans que ce ne soit dérangeant. Tu veux juste sonder rapidement ce que tu peux capter de lui, avant de laisser la rencontre débuter et le silence se former. Un lourd soupir se forme dans ta poitrine, sans que tu ne lui laisses le droit de s’échapper, alors que les minutes, elles, s’écoulent sans que tu n’ais d’emprise sur elles…

Entamer un nouveau rendez-vous te remet aussitôt dans le bain, comme si ton moral n’avait pas fluctué ou que tes pensées ne s’étaient pas faites pressantes. Si tu prenais le temps de regarder ça avec un oeil extérieur, tu serais certainement fière de toi, Theo, de ce que tu es capable de faire en termes de gestion de tes émotions. Toi qui es hanté par celles des autres, qui vois au jour le jour des gens se faire dévorer par leurs sentiments, tu es parvenue à dompter les tiennes, pour en ressortir le meilleur lorsque tu fais ton travail.

Ceci dit, tu n’as pas le temps d’y penser ou de prendre le recul, tu es déjà absolument focalisée sur ton dernier rendez-vous de la journée. La rencontre avec un nouveau patient est toujours quelque chose de demandant, en terme d’énergie et de concentration, mais tu ne comptes pas faillir à la tâche. Aussi, tu accueilles l’homme avec un sourire, en lui offrant ton identité, et quand il te donne son prénom, et uniquement ça, ton sourire s’étire un peu plus.

« Très bien, Will, faisons comme ça. »

Tu n’es pas difficile, tu t’adaptes à ton patient. Certains s’attachent au vouvoiement ou au nom de famille, d’autres préfèrent la proximité du tutoiement et du prénom. Si tu avais le droit de choisir, tu passerais rapidement au tutoiement pour la simple raison que c’est moins protocolaire, moins médical, mais ce n’est pas toi qui choisi. Tu es la personne malléable de la pièce, c’est ainsi que tu le conçois.

« Ah tant mieux. Il y a pas mal de commerces et autres cabinets dans le quartier, alors souvent mes nouveaux patients se perdent un peu pour me dénicher ici. Je suis contente que ce soit bien passé pour vous. »

Tu t’assieds, tu le laisses faire le tour sans broncher. Et lorsqu’il s’installer enfin face à toi, tu lui offres un angle d’ouverture et tu te tais. Dès lors, le travail est sensitif. Tes yeux captent les détails de sa posture ou de ses expression, alors que tu sondes son regard en quête d’émotions que tu as appris à trop bien connaître et quand il t’offre sa première vérité, tu te figes. La surprise se lit, sincère et pure, sur ton visage, avant que tu ne t’installes un peu plus au fond de ton siège, sans parler. Autant le laisser aller jusqu’au bout, même si c’est la première fois qu’on te consulte pour quelqu’un d’autre.

Ses explications allument tes alarmes dès qu’il t’offre l’âge de ta peut-être future patiente. Tes sourcils se froncent alors que sa posture se change, partant en avant mais se refermant sur lui. Quand il parle de gradation dans les agressions, tu hoches le menton. Tu es assez futée et tu lis assez bien dans ses yeux pour comprendre de quoi il veut parler. Alors il continue et vraiment, Theo, tu comprends deux choses : cette toute jeune fille a besoin d’aide, et toi, tu es prête à la lui offrir qu’importe ce que ça va te coûter en temps, énergie ou compromis de soin.

« Que l’on soit bien d’accord, Will, je ne suis ni spécialiste des enfants ou des ados, ni des violences intra-familiale. J’ai déjà suivi des patients avec certains détails similaires, et je m’en sens capable, mais je n’ai pas été spécialement formée pour cela. Tu articules lentement, en gardant les jambes croisées et en tapotant rapidement du doigt sur l’un des accoudoirs où tu as déposé tes bras. Ceci dit, je pense pouvoir vous aider et aider cette jeune fille. Ou en tout cas, j’ai envie d’essayer et de faire de mon mieux pour cela. »

Tu lui offres quelques secondes de réflexion, au cas où ta réponse ne lui irait pas, qu’il pensait que tu étais plus adaptée en terme de formations suivies. Et puis, tu finis par décroiser les jambes, attraper ton petit carnet, et tu notes les bribes qu’il t’a déjà offertes sur la petite. Lorsque tu ramènes tes yeux sur lui, tu attaques dans le vif avec une douceur pourtant certaine autant dans le choix de tes mots que le ton de ta voix :

« Si vous êtes celui qui cherche un psychiatre pour elle, je peux imaginer que vous avez un lien fort avec elle ? Vous êtes de sa famille : frère, cousin, oncle peut-être ? Vu les éléments, tu penches pour cousin, mais tu n’en dis rien. J’aurais besoin de savoir où se trouve actuellement cette jeune fille ? De ce que vous me dites, elle a été enfermée dans une situation parfaitement anormale pendant des années, avant de s’en échapper, mais est-elle en sécurité actuellement ? C’est la première chose qu’il faut prendre en compte dans ce genre de cas : aucun soin, aucun accompagnement ne peuvent être reçu par une personne qui n’a pas une base stable et surtout sécurisé pour pouvoir abaisser ses défenses. »

Au fond de toi, tu te doutes que, vu l’homme et l’air qu’il a, la petite doit être en sécurité quelque part, mais c’est ton devoir de le dire. Tout comme de proposer une hospitalisation si tu penses qu’elle n’est pas assez entourée ou trop en souffrance au point de mettre sa vie en danger.

« Est-elle recherchée pour la mort de son agresseur ? Tu n’utilises pas le terme de père, consciemment. »

Sa remarque te tire un haussement surpris de sourcils. Tes yeux viennent chercher les siens, pour juger s’il te taquine ou si la question est sincère. Son sourire en coin est toujours présent, mais l’éclat de ses iris te laisse trouver la réponse à ta question silencieuse, et tu notes l’information en toi, commençant dès à présent à apprendre à le connaître, quand bien même il n’est pas censé être ton véritable patient.

« Non, c’est une question sincèrement curieuse. Ca m’indique à la fois s’il y a un souci pour trouver mon cabinet, qui serait quand même drôlement facheux pour mon activité, et si venir n’a pas été trop difficile. Ton sourire s’agrandit un peu, retenant un rire léger de peu. Promis, si je dois vous psychanalyser sur des questions sur le temps qu’il fait, je vous préviendrai ! »

Tu n’es pas du genre à chercher un signe dans tous les mots que les gens prononcent chez toi. Tu es capable d’analyser bien des tournures de phrases ou des attitudes, parce que tu sais lire les gens, mais que quelqu’un te dise qu’il n’aime pas le chocolat et que tu en tires la bêtise de dire qu’il a eu des conflits avec ses parents dans son enfant n’est absolument dans tes cordes. Pas ce qui t’intéresse non plus. Tu préfères que les gens te parlent, tout simplement.

Et c’est justement ce qui se met en place, quand il en vient à la jeune fille que tu devrais prendre en charge. D’une certaine manière, Theo, c’est un soulagement qu’il te dise le plus clairement possible les choses qui t’attendent et ce qu’il veut de toi. Pas tout le monde en est capable avec autant de… rigueur. Ça t’offre aussi la possibilité de poser un cadre précis à ta réponse et aux questions que tu poses pour mieux comprendre le cas sur lequel tu as déjà choisi que tu plancherais.

« Ca me semble le plus raisonnable, en effet, quand bien même il se peut qu’elle refuse tout suivit psychologique avec qui que ce soit, par réflexe d’évitement. Tu le préviens tout de même. Votre demi-soeur, ah. Ton visage se fige quelques secondes, marquant une réflexion intense en toi, mais tu finis par choisir d’afficher la même franchise dont il t’a honoré. Je me vois dans le besoin de vous demander si c’est par votre mère ou votre père. Tu lui offres un sourire désolé qui n’étire que le bord gauche de ta bouche. Vous n’étiez pas au courant de ce qu’elle vivait dans le foyer ? Tes lèvres se pincent alors que tu te remémores une partie de ses explications. Elle vivait comme une fille unique, vous avez dit. Vu la différence d’âge que je peux imaginer, vous n’aviez plus de lien avec votre famille, j’imagine ? »

Tu prends un peu les devants, mais c’est plus fort que toi. Ton esprit carbure à cent à l’heure, alors que tu essaies d’avoir une esquisse assez fidèle de ce qu’il s’est passé, d’une part, mais aussi des raisons qui ont amené à un tel enfer sur plusieurs années. Avec une fin aussi tragique pour le père de la petite, tu imagines combien les choses sont compliquées et combien la situation a eu le temps de se construire, développer et s’intoxiquer… Pauvre enfant, ne peut s’empêcher de souffler ton esprit en toi-même.

Quand il t’explique succinctement où elle est pour le moment, ce qu’elle a fait ces derniers temps, tu opines lentement la tête. C’est une solution que tu comprends, mais tu sais que ce n’est pas toujours la meilleure option en terme thérapeutique. Aussi, tu t’empresses de demander :

« Vous la voyez toujours ? Elle est d’accord d’être chez cette personne de confiance ? Tu prends le temps de lui laisser voir en toi que tu ne le juges pas avant de continuer. Si vous êtes sa seule famille désormais, il ne faudrait pas qu’elle prenne son éloignement comme une punition, qu’elle se sente rejetée. Je me doute que ce n’est pas votre idée, mais il est important que vous en discutiez avec elle. En voulant faire au mieux, on fait parfois du mal, et ce serait dommage qu’elle perde confiance en vous, alors que vous vous occupez de trouver de l’aide. »

Ce serait terrible pour elle et pour cet homme qui a l’air d’être sur un terrain bien peu simple pour lui. Tout le monde n’est pas à l’aise avec les émotions et vu la manière dont il a user du terme “humain” tu imagines un peu combien il est mal à l’aise. Au final, ce n’est qu’en l’entendant répondre à ta dernière question, celle qui est important d’un point de vue gestion de dossier, mais qui pour toi compte le moins en terme de choix de l’accepter comme patiente. Ta tête s’abaisse pour marquer ton assentiment vis à vis de son anonymat par contre, tu lèves la main pour l’arrêter.

« Mes tarifs sont inscrits en salle d’attente et sur mon site web, je n’attends rien de plus pour une prise en charge, qu’elle soit classique ou disons… aménagée à vos besoins. Ce qui compte pour moi, c’est de l’aider si elle veut bien de moi. Tu inspires doucement, et tu finis par prendre la décision. Je prendrai des notes manuscrites pendant les séances mais aucune identité ne sera apposée sur la feuille et le dossier sera anonyme. Je ne rentrerai rien dans mon logiciel de patientèle et si cela vous rassure, vous pourrez me régler en liquide, ainsi pas de trace de votre passage ici. Le secret médical me permet de ne pas avoir à parler d’un patient rechéché par la police pour un crime déjà commis. Ceci dit, je me dois de vous rappeler que si j’apprenais qu’un autre était planifié, il serait de mon devoir de prévenir les forces de l’ordre quant à ce risque. »

Ton petit doigt te dit qu’il le sait sûrement. Quelque chose dans son attitude te laisse préssentir qu’il a été dans l’armée ou les forces de l’ordre peut-être. Enfin, que le concept ne lui est peut-être pas étranger, mais c’est important que tu le redises, que ce soit bien clair autant pour lui que toi. Si tu veux protéger ta future petite patiente, il faut que rien ne t’oblige à parler d’elle en dehors du cabinet.

« Puis-je vous demander quel événement traumatique a rappelé à elle ses souvenirs ? Cela pourrait avoir laisser des marques qui risquent de la déclencher à nouveau s’ils sont à nouveau rencontrés. »

Au fur et à mesure que tu poses des questions, Theo, tu comprends que tu souhaites sincèrement pouvoir venir en aide à cette jeune fille dont Will est en train de te parler. Et au fur et à mesure qu’il t’offre ses réponses, tu découvres que les choses sont complexes, que l’histoire a probablement pas mal de noeuds et de problèmes mais qu’il a déjà mis en place énormément de choses pour la petite. Tu vois à ce qu’il a fait, au fait qu’il se tienne aujourd’hui devant toi, qu’il l’aime sincèrement. Et ça, tu vois, ça te fait fondre intérieurement, parce que tu vois en lui cette dévotion que tu as toi-même avec ton petit frère.

« C’est déjà un très gros pas en avant si elle est consciente du besoin de thérapie et qu’elle accepte de se lancer. Pour beaucoup de patient, voir un psychiatre ou psychothérapeute, ça reviendrait à… se jeter dans un gouffre sans savoir si au fond il y a de l’eau ou de la lave en fusion. Tu expliques doucement, avec un léger hochement de tête. Elle est courageuse. »

Forte. Résiliente. Elle a probablement de bonnes chances pour parvenir au bout de la thérapie et d’en ressortir plus stable qu’avant. Tu ne diras jamais guérie, parce que tu sais qu’on ne guerie jamais entièrement de ce genre de traumatisme. Ton rôle n’est même pas de la guérir ou de lui faire oublier les horreurs. Tu es là pour lui apprendre à vivre avec, à savoir comment les gérer, à s’accepter elle-même et surtout être bienveillante avec ses propres blessures. Et ça, c’est bien plus compliqué que poser un pansement sur le problème et espérer que ça guerrisse tout seul.

C’est lorsqu’il évoque le lien de famille qu’il a avec ta future patiente que tu comprends l’ampleur des choses. Ta bouche s’ouvre, laissant voir ta surprise, alors que tu te mets à tapoter doucement du crayon sur le papier de ton bloc-note. Tu l’écoutes presque religieusement lorsqu’il t’explique ce qu’il s’est passé, comment il l’a rencontré en définitive. Et ses propos finissent par te faire froncer les sourcils :

« Donc en plus de la souffrance quotidienne et de ce qu’il s’est passé avant de fuir, elle s’est retrouvée devant vous. Je veux dire… savait-elle que vous existiez ou pensait-elle simplement avoir une soeur ? Tu hésites, tes dents attrapent ta lèvre du bas et pendant quelques secondes tu pèses le pour et le contre, comme si tu pressentais ce qui allait suivre, et tu finis par dire. A-t-elle pu voir votre soeur également ou est-elle tombée sur vous parce que votre soeur est partie ? Sans vouloir vous manquer de respect, Will, c’est plus souvent les femmes qui gèrent les benjamins et se chargent de leur santé physique ou mentale, ainsi que la manière dont vous en parlez à peine, je me demande si votre soeur est présente avec vous deux. Tu finis par lui offrir une moue tordue, sincèrement désolée. Si vous ne voulez pas en parler, je comprendrais… J’ai l’impression que la situation est complexe. »

C’est peu dire. Il est bien rare que tu te retrouves dans des histoires aussi nébuleuses. Et d’une certaine manière, tu peux comprendre qu’il ne veuille pas t’en dire trop, puisque tu es au courant d’un meurtre et même si tu as promis de te taire, tu pourrais les trahir. Ceci dit, Theo, tu sais aussi que tout est bon à prendre pour aider sa petite soeur. C’est le dilemne entre préserver leur vie privée et faire ton métier.
Et pourtant, tu vois, si les choses sont complexes, tu vois tous les efforts qu’il a mis en place pour s’occuper de la petite. Tu l’écoutes te parler de son organisation de vie, de l’autre personne qui veille dessus quand il ne peut être là. Et tu lui offres un sourire doux, avec un hochement de tête. Tu n’as pas à lui dire qu’il fait bien les choses, qu’il a visiblement pris les bons choix, pour que ce soit clairement inscrit sur ta face. Son organisation n’est peut-être pas parfaite, peut-être que si, mais elle est largement suffisante pour le moment, alors tu préfères te concentrer sur les points les plus critiques de ta prise en charge avant de voir le tableau avec plus de recul.

Cependant, quand tu l’entends parler de toi, de ta manière d’être, tu ouvres plus grand les yeux. Pendant une seconde un léger rire s’échappe de ta bouche, alors que tu secoues la tête, avant de répondre :

« J’en sais rien, à vrai dire, mais je fais ce qui me semble important. Si cela vous convient, j’en suis vraiment ravie. Au moins mon investissement apporte du positif. »

Et forcément, tu rebondis sur la partie la plus importante à tes yeux : comment la petite s’est souvenu de ce qu’elle a fait. Tu le questionnes, tout en essayant de ne pas te montrer trop invasive. Et quand il te répond, tu plisses légèrement les yeux, en essayant clairement de lire entre les lignes. Vraiment, Theo, ton visage est un livre ouvert, encore plus quand tu es plongée comme maintenant dans quelque chose qui te prend au coeur.

« D’accord. Quelqu’un lui a rappelé ses peurs, donc. Je… Tu t’arrêtes, avant de pencher la tête sur le côté. Vous devez savoir que je suis une mutante ? Est-ce que vous voulez dire que quelqu’un comment moi lui a fait peur ? Est-ce que cette personne lui a fait peur par ce qu’elle est, ou par une manipulation psychique quelconque ? Du fait d’être dotée d’un pouvoir, tu envisages souvent rapidement ce fait dans ton diagnostic. Encore plus parce que tu sais que les mutations provoquent bien des souffrances pour leurs porteurs et ceux qui les entourent. Vous étiez là ? Vous pourriez me raconter ça ou je me contente de mon imagination ? »

Tu ne saurais pas vraiment l’expliquer, Theo, mais la manière dont Will te répond, tu sens que certaines choses ne doivent pas être sues. Il y a quelque chose, chez cet homme, qui te met en garde sur les questions que tu poses.

« Dites moi ce que vous pouvez ou voulez me dire, mais je préfère que vous me taisiez une vérité, plutôt que vous me disiez un mensonge. C’est bien plus évident pour moi de ne pas savoir que de partir sur une fausse piste. Tu finis par lui demander quand même, avec douceur. Quel est le prénom de votre petite soeur, du coup ? Que tu puisses mettre un prénom sur ce dossier complexe dans ton esprit. »

Vraiment, Theo, plus tu parles avec Will, plus tu as l’agréable découverte de son esprit et de son avis sur la question. Pourtant, tu sais bien que lorsqu’un membre de la famille proche est en souffrance, les gens surréagissent et n’ont pas toujours le bon raisonnement. Là, la manière dont l’homme te répond à propos de sa soeur, tu pourrais presque soupirer légèrement de soulagement, parce que tu pressens, que la petite est aussi sur une bonne voie grâce à lui (quand bien même il ne s’en rend sûrement pas compte).

« Tout à fait d’accord avec vous. Tu hoches le menton. Je suis d’autant plus contente de pouvoir vous tendre la main pour l’aider sur cette voie. »

Tu l’aurais fait quoi qu’il arrive, mais ce n’est pas tous les jours qu’un jeune veuille se sortir de sa situation de lui-même. C’est presque quelque chose de nouveau pour toi, Theo, et ca te pousse a mettre d’autant plus d’efforts dans le futur travail avec la petite. Ceci dit, ça te rappelle également qu’il y a encore des questions sans réponse, et petit à petit, tu viens poser les questionnements qui te manquent pour combler l’esquisse du tableau global.

Lorsque tu l’interroges sur ses relations avec sa soeur, sur cette autre soeur qui avait entamé le contact, tu ne t’imagines pas ce qu’il va t’en dire. Alors forcément, quand la réponse arrive, tu écoutes attentivement et tes sourcils se froncent. Tu ne l’interrompts pas, et même quand il termine son explication, tu prends quelques secondes de silence pour lui permettre de se collecter s’il en a le besoin, et pour toi d’assimiler les informations. Enfin tu plonges ton regard dans le sien avant de répondre :

« Je suis sincèrement désolée pour la perte de votre soeur, quand bien même vos rapports pouvaient être difficiles. Ton visage exprime une sincère compassion. Ce que je vois, c’est que si tout cela a fait beaucoup de changements et de surprises pour votre benjamine, cela n’a pas du être simple pour vous non plus. Je sais que vous êtes ici pour votre soeur, mais si je peux également vous apporter mon aide, Will, j’aimerais pouvoir le faire. »

Tu ne vas pas tendre la main à sa soeur, et le laisser lui en retrait, de toute façon. D’une part, car tu ne peux pas fermer les yeux sur sa propre souffrance, ce n’est pas ton genre. D’autre part, parce que si lui va mal, sa soeur souffrira par rebond. C’est ainsi que ça se passe entre personnes proches (suffisement pour vivre ensemble et compter l’une sur l’autre en tout cas). Cependant, si tu peux vouloir aider, que tu lui proposes une main tendue, tu ne pourras forcer en rien. Et c’est pour cette raison que tu n’insistes pas lourdement.

A la place, tu demandes à en savoir plus sur les derniers éléments qui se sont déroulés pour la petite Ashley. Aussi, si tu prenais des notes très légères depuis quelques minutes, quand il parle de sa mutation, tu suspends le mouvement de ton crayon pour l’observer. Le terme de malfaisant attise aussi sec ta curiosité, et tu reposes le carnet sur tes jambes pour l’écouter attentivement survoler ce qu’il porte en lui. Ce “ca” comme il l’appelle, et qui a un lien avec la peur sous de nombreuses formes. Aussi sec, tu comprends à peu près ce qui a pu se passer, et les derniers mots de l’homme te confirme l’hypothèse sans le moindre problème.

« Je vois… Ma question va peut-être vous sembler étrange mais… a-t-elle fait la différence entre vous et ce… cette entité qui est en vous ? Vous a-t-elle montré des comportements d’angoisses vis à vis de vous depuis ? Est-ce que vous avez discuté de ce qu’il s’est passé ensuite ? Tes lèvres se pincent quelques secondes en une moue tordue, avant que tu ne reprennes. Vous êtes un allié dans sa vie, et il est important que vous le restiez. Quand tout s’effondre, on se raccroche à ce qu’on a de plus proche et de plus stable possible, et je pense que vous êtes cette ancre pour elle. C’est d’ailleurs corrélé, à mon avis, avec son élan vers l’avant et le parcours de soin. Aussi, si cela vous semble satisfaisant, je pense que j’aimerais commencer ma thérapie avec Ashley autour de cet événement récent, pour dissocier votre présence, à l’expression de la peur qu’elle a ressenti. Tu t’arrêtes quelques secondes, en réfléchissant profondément. Ca veut donc dire que je risque d’avoir accès à une description de votre pouvoir par votre soeur, si elle souhaite la partager. Est-ce bon pour vous ? »

Après tout, il s’agit de son pouvoir à lui, et vu comme il en parle, cette mutation a l’air fort particulière et effrayante… Tu n’imagines pas qu’il s’amuse à en parler et la partager avec le premier venu.

« Est-ce que l’entité que vous… héberger, je ne sais pas si c’est le bon mot pour votre ressenti, a une conscience propre ? Si oui, Ashley est-elle en danger en restant à sa proximité ?»

Toujours cette même question du danger et des risques. Tu pèses toujours le pour et le contre, pour faire les meilleurs choix possible.

On ne peut pas vraiment dire que tu sois surprise de la réponse de Will a la proposition que tu lui fais. Tu vois bien au bonhomme en face de toi qu’il doit avoir l’habitude de porter sur ses épaules sans se décharger malgré les mains tendues. Et tu ne peux forcer personne à accepter la tienne, quand bien même tu le fais avec toute la sincérité qui est la tienne. Non. A la place, Theo, tu hoches lentement la tête à sa réponse et un sourire perce au coin droit de tes lèvres :

« Bien, mais l’offre vaut sur la demande, ne l’oubliez pas. Ensuite, tu prends le temps de le laisser comprendre ce que tu lui offres avant de rajouter. Ceci dit, nous nous reverrons en session de temps à autres. Je pense qu’il sera bon pour votre soeur que vous ayez également des moments ensemble pour échanger. C’est une manière de faire que je propose souvent aux familles et qui a fait ses preuves. »

Quand les familles sont soudées ou quand il y a besoin de percer un abcès. Tu vois bien que leur cas est sûrement plus le 1er cas de figure, et ça te rassure pour Ashley. Vraiment, tu ne peux qu’imaginer ce qu’elle a vécu et ressenti, et tu aurais peut-être un peu outrepassé la bienséance si tu avais appris qu’elle était seule, livrée à elle-même. Ceci dit, quand tes yeux noisette se reposent sur Will, tu ressens encore cette force qui émane de lui. Il a l’air solide. Tu as confiance en lui, et ça c’est quand même drôlement important.

La conversation revient vers l’homme en face de toi, et c’est quand tu t’attardes un peu plus sur sa mutation que tu touches du doigt quelque chose de vraiment… fou. Incroyable plutôt. En tout cas, il a l’air de porter une mutation comme tu n’en as jamais croisé dans toute ta vie. Tu l’écoutes te parler de la rencontre de sa soeur avec ce “ça” et quand il t’offre plus de détail sur la chose cachée en lui, tu observes sa peau et le tatouage qui y court. C’est raligieusement que tu reçois les explications, comprenant que tu ne comprendras probablement pas toute l’ampleur de ce qu’il vie sans y être toi-même confronté, et en même temps… tu n’as pas envie de rencontrer ce qui sommeil en lui. Vraiment, tu as beau est curieuse de nature, une petite alarme dans ton esprit te met grandement en garde sur ce qu’il pourrait t’arriver face à cette chose.

« Je vois… Enfin… J’imagine un peu ce qu’il s’est passé. Il me sera compliqué de tout comprendre parfaitement vu l’unicité de la situation, mais je crois que je ne suis pas trop mauvaise pour imaginer et comprendre les émotions des gens. Petite touche d’humour qui sort comme pour te préserver de l’angoisse douce qui s’étire au creux de tes intestins. Si cela vous va qu’Ashley et moi en discutions, alors c’est tant mieux. J’aimerais aussi pouvoir vous poser des questions si besoin, pour bien comprendre si Ashley évoque des précisions sur ce qu’elle a vécu. Je préfère m’en remettre à vos vérités qu’à trop fantasmer les événements. Tu prends un temps de silence, avant d’ajouter, en précision comme si ça allait de soit. Vous comprendrez rapidement qu’avec moi, vous pouvez autant me dire les choses telles qu’elles sont, que vouloir ne pas me le dire. Je n’ai aucun gain à forcer la discussion. »

Pour toi, pour la petite, et même pour ce grand gaillard qui te fait face. Tu es en train de récupérer une de tes carte de visite et souligner ton numéro de portage, pour lui dire de t’appeler en cas de besoin, comme toujours, quand il ajoute quelque chose qui te fait frissonner. Cette description de quand son pouvoir surgit. Tu relèves d’un coup la tête vers lui, alarmée :

« Déchire la peau ? Littéralement, hein ? Tes lèvres se pincent. Vous êtes suivi médicalement parlant ? »

Tu refuses d’imaginer la souffrance qu’il vit et les risques qu’il prend, sans poser la question. Tu dois bien avoir quelques collègues médecins qui pourraient le soigner quand ça arrive ? L’aider ? Ca te tiraille de réfléchir à une solution pour lui, mais il a refusé ton aide (pour le moment, espérons seulement).

« Je vous fais confiance quand vous dites qu’elle est en sécurité, pas d’inquiétude. Tu conclus avant de lui tendre ta carte au numéro souligné. Voici mes coordonnées directes. J’aimerais que vous n’hésitiez pas à m’appeler quel que soit le moment du jour ou de la nuit, si vous avez besoin, que ce soit pour Ashley ou vous. Je ferai de mon mieux pour vous aider, vraiment. Un sourire perce ton visage, illumine tes yeux. Est-ce que vous avez des questions peut-être ? »

« Une semaine, je note. Tu hoches la tête sans chercher à creuser les raisons qui demandent autant de temps d’avance pour le prévenir, ou remplir si bien sa vie. A vrai dire, Theo, tu as comme un feeling du type de métiers que pourrait faire cet homme. Je vous contacterai par sms, si cela vous va, quand et si ça doit arriver. Mais je vous remercie d’accepter de venir au besoin. »

C’est toujours difficile d’amener un proche à accepter de venir dans une thérapie qui n’est pas la sienne. Certains craignent de gêner celui qui suit la thérapie et dans la majeure partie des cas, les autres refusent juste l’idée de subir la thérapie eux-même. Tu le sais, tu l’as assez vu. A combien est le pourcentage de personnes qui conseillent à un ami, un parents, un voisin, de voir un psy mais qui refuseraient tout net d’y aller pour eux-même ? Rien que te poser la question te fait frissonner, tu ne veux même pas savoir la réponse.

Et de toute façon, autre chose vient attraper ton attention. Tu l’écoutes te parler de cette chose qui est en lui. Ce pouvoir qui sort littéralement par sa peau et dont l’image que ton esprit créé pour visualiser l’événement te donne des sueurs froides. Forcément tu aimerais en savoir plus, mais à sa réponse, tu comprends que tu resteras dans le flou (autant que lui, visiblement) et tu acceptes ce fait avec un hochement de tête calme pour ce point. Parce que le calme n’est plus complètement de la partie temps que l’image d’un monstre interne déchirant son épiderme reste en toi. Et ses explications sur ce fait, te tendent légèrement. Pas par peur, non. Pas douleur. Par empathie.

« D’accord… c’est brutal. Tu n’as pas d’autres mots acceptables pour décrire l’image dans ton esprit. Et cette chose veut faire peur et déchiqueter pour vous protéger ou… et bien, d’autres volontés ou envies diverses ? »

Et voilà… voilà Theo, déjà tu t’intéresses à son cas d’une manière qui n’est pas ce qu’il est venu chercher dans ton bureau, mais en plus, idiote que tu es, tu traites la créature en lui comme quelque chose à part, unique, avec un esprit, des émotions. Comme une personne à part entière. Le pire, en fait, c’est cette seconde d’inattention où ton esprit se demande ce que tu pourrais dire, demander, apprendre ou comprendre si tu voyais le “Ca” de Will face à toi. Ensuite, tu ravales le tout en pinçant l’arrête de ton nez, pour te ramener sur terre.

« Excusez-moi, c’est mal venu. Tu appuies tes deux pieds sur le sol, tout en répétant mentalement cinq fois trois descriptions d’objets sur ton bureau, pour t’ancrer dans l’instant présent avant de reprendre. Alors ca vous blesse, mais ça vous soigne. Ca me semble d’autant plus terrible, de ce fait. »

Tes lèvres s’étirent juste sur la droite, en un sourire désolé et compatissant, avant que tu ne passes à la suite. Si tu te laisses aller, ce pauvre homme n’en a pas fini de tes questions sur son cas, et tu n’es pas certaine qu’il apprécie ta curiosité un peu trop présente. Du coup tu récupères une carte avec tes coordonnées, et tu la lui confies en souriant plus calmement. Ce n’est pas que tu es complètement passée à la suite, mais tu compartimentes, comme tu as si bien appris à le faire.

« Quand vous pouvez l’amener et qu’elle souhaite commencer. Je pense qu’il ne faut pas attendre trop longtemps, donc je débloquerai un de mes créneaux d’urgence pour la voir au plus tôt. Ce sont des créneaux soient tôt le matin ou en début d’après-midi, soit tard le soir. Un peu contraignant, ceci dit. Ce serait bon pour vous ? Tu prends quelques instants pour réfléchir, même si tu réprimes absolument pas le sourire amusé par les mots qu’il choisit pour définir ton travail. Non, je ne crois pas. Pas de dossier, pas de papiers d’identités nécéssaires. Pour le paiement, je vous laisse choisir ce qui vous arrange. J’ai votre numéro. Hmm… Ca me semble bon. »

Tu lui souris en hochant la tête, avant de te remettre debout souplement, prête à accueillir d’autres questions ou le raccompagner s’il le souhaite jusqu’à l’entrée de ton cabinet.

Tu sais que tu ne devrais pas t’intéresser de cette manière à Will directement. Tu es là pour sa soeur, et c’est normalement tout ce qui devrait te focaliser. Au final, tu te raccroches au fait que son pouvoir à provoquer le fin de l’amnésie de la petite pour justifier ta curiosité. Tu sais que plus tu comprendras ce qu’il s’est passé, mieux tu pourras encadrée Ashley et répondre à ses questions. Tu t’octroies une part de liberté sur cette simple raison, Theo, mais tu n’es pas assez simple d’esprit ou idiote pour ne pas savoir que ce n’est pas acceptable. C’est l’humaine qui est curieuse, pas la psy. C’est toi, et ce besoin de tout comprendre, tout voir, tout expérimenté qui l’interroge, pas le médecin qui analyse scientifiquement les choses. Et c’est un problème que, visiblement, tu ne veux pas gérer pour le moment.

Aussi, tu parles. Tu poses des questions et tu obtiens des réponses qui ouvrent d’autres portes à d’autres interrogations dans ton esprit. Tu pourrais probablement le retenir toute une soirée pour l’asticoter et tout savoir, tout chercher à comprendre. Tu pourrais, mais il est certain que jamais tu ne le feras sans son consentement. A la place, tu essaies de réfréner ta curiosité lorsque Will lui-même semble se rendre compte que ça te titille de l’intérieur.

« Je… Tu t’arrêtes, incapable de mentir et de te protéger du jugement qui pourrait se lier à cette vérité sur toi. Tes yeux restent accrochés à lui alors qu’une première vraie manifestation de stress se montre en toi. Tu tripotes nerveusement tes doigts de la main droite avec ceux de la main gauche, avant de répondre, lentement, mot par mot. Ca pique ma curiosité, et pas uniquement en tant que psychiatre, pour être franche. Les mutations que nous portons sont toutes uniques, et je me demande souvent si leur fonctionnement possède une certaine logique. Pourquoi la mienne est en lien avec les émotions et la votre réside en cette créature sous votre peau, vous voyez ? Tu finis par détourner les yeux en continuant de jouer avec tes doigts, avant d’ajouter. Je me demande comment la peur est ressenti par cette chose qui vous habite, et si… elle ressent d’autres choses. Si elle est un être à part entière du point de vue de mes propres capacités. »

Tu t’arrêtes d’un seul coup, et le rouge s’étend aussi vite sur ton visage, donne une note fruité et vivante à ton visage qui est bien trop calme pendant que tu travailles. Ce que tu offres à Will, à cet instant là, c’est clairement Theo et non pas le Dr Kyros. Tu essaies de ravaler cette gêne de ne pas être “assez professionnelle” avant de lui offrir un sourire contrit et désolé.

« Désolée, ca ne doit pas être très agréable d’entendre ce genre de questions comme si vous n’étiez qu’un sujet d’expérience. Tu hoches légèrement le menton. Ce n’est pas ainsi que je vous vois, si ça peut vous rassurer, mais la curiosité me pousse toujours à me poser beaucoup trop de questions. »

Tu te retrouves debout et bien vite la montagne de muscles en fait autant. Debout face à face, tu ne peux que te rendre compte de la différence de stature, quand bien même cela ne réveille en toi aucune inquiétude. Pour une raison que tu ignores (ou que tu préfères ignorer) tu n’as jamais eu peur des rapports de forces perdants…

« Tout à fait, ne trainons pas. Tu écoutes sa proposition puis après une seconde de silence. Je vais la contacter, ce sera plus simple en effet. Si vous pouvez juste la prévenir de mon numéro et que je souhaite lui parler dans les jours à venir, ça évitera la surprise de son côté. Une fois le planning établie, je vous l’enverrai par sms. »

Tu n’es pas bien contraignante, encore plus quand il s’agit d’aider quelqu’un qui en a besoin. Tu es d’ailleurs en train de revenir vers la porte quand la voix te fige à nouveau. Et cette fois-ci, tu ne peux pas t’empêcher de te retourner d’un coup et de lui offrir un regard parfaitement surpris. Tu as l’air d’une gosse devant lui, prise de court, et tu te retrouves à secouer négativement la tête.

« Mes pouvoirs sont en rapport avec la gestion des émotions. Tu lui apprends sans hésiter. Mais je ne les utilises jamais sans l’accord de la personne que je touche. Ce n’est pas parce que je peux entrer à l’intérieur de ce sanctuaire privé que je dois le faire sans permission, vous comprenez ? Tu as toujours cette crainte au fond de toi, qu’on pense que tu manipules dans l’ombre, que tu voles et violes la privacité des gens. En échange, je dois vous prévenir qu’un contact cutané direct avec moi, déclenche mon pouvoir. Donc si vous voulez éviter ça, il faudra faire attention à ne pas me toucher en direct. Ton expression devient désolée. Je n’arrive pas à avoir de maîtrise avec cet aspect de ma mutation. Tu te justifies bêtement, avant d’inspirer à fond et de relâcher ton souffle lentement. Elle craint toutes les mutations ou celles de mon genre ? »

Elle. La créature. Tu ne sais pas comment le dire autrement.

Quand tu entends la réponse de l’homme fac eà toi, tu ne peux pas t’empêcher de sourire, Theo. S’il y a bien une chose qui te caractérise c’est la curiosité. Aussi, doit-il être rassuré en t’écoutant parler, parce que vraiment, ma grande, tu es rongée de questions et d’hypothèses à son sujet, sans oublier également l’aspect plus humain de sa personne.

« Je le suis. Trop sûrement également. Tu as un léger rire. Mais ne vous inquiétez pas, je n’outrepasserai pas vos limites. Je vais juste probablement avoir quelques insomnies à réfléchir à votre cas, votre histoire et votre mutation. »

Tu es ce qu’il y a de plus honnête, n’aimant de toute manière pas mentir. Peut-être que tu feras peur au frère de ta future patiente, mais au moins il sait à quoi s’en tenir. Et visiblement tu ne dois pas lui faire plus peur que cela, car il finit par répondre à tes questions et quand il te demande ton avis sur ce qui semblerait le mieux quant à la chose en lui, tu penches la tête sur le côté.

« Ca dépend si vous préférez espérer un jour avec un contrôle total dessus ou si vous préférez savoir qu’une entitée peut veiller sur vous et prendre le relais en cas de besoin, je dirais. Tu es sérieuse, même s’il te faudrait sûrement plus de temps pour vraiment trancher la question. Ceci dit, ce que vous souhaitez et ce qui est réellement n’est malheureusement pas forcément aligner. Tu lui offres un sourire désolé. Mais vous avez raison, nous sommes tous une sorte de sujet d’expérience. C’est bien pour cela que nombres de nos compaires ne parlent même pas de leurs capacités. »

Tu en as vu en consultation, devenu parano à force de cacher ce qu’ils étaient vraiment. D’autres penser qu’ils n’avaient de valeur aux yeux de leur entourage que pour ce qu’ils étaient capables de faire. Et dans certains cas bien malheureux, c’était vraiment le cas. Ton estomac se serre, d’ailleurs, à cette pensée, et tu finis par accepter que tu n’es pas mieux lottie. Tu n’existes aux yeux de tes parents que pour ta mutation… en tout cas, tu en as l’impression.

Tu finis par conclure la conversation, et tu l’accompagnes jusqu’à la porte en le remerciant de prendre la peine de prévenir sa soeur. Tu sais que tu vas être amenée à le revoir, et au fond de toi, tu es un peu contente de ce fait, te disant que tu pourras peut-être l’aider lui aussi. Tu ne sais pas vraiment pourquoi, mais cet homme t’inspire énormément de douceur et de compassion, quand bien même il n’en réclame absolument pas. Au contraire même.

« Je comprends tout à fait votre précaution. J’espère pouvoir apprendre où sont les limites avec le temps, que vous ayons peut-être le plaisir de se serrer la main un jour. Tu lui souris avec bienveillance. A bientôt Will. Prenez soin de vous et de votre soeur ! »

Tu le laisses doucement repasser la porte de ton cabinet, l’observant quitter les lieux avec énormément de réflexion, avant de refermer la porte et retourner à ton bureau. Tu récupères tes notes, les relis, les imprimes dans ton esprit, et une fois ceci fait, tu passes dans la broyeuse ce que tu as noté. On est jamais trop prudent.